Montre-moi ton homme...

Publié le par Albocicade

C'est par cette phrase curieuse que Théophile d'Antioche, un auteur que je tiens en haute estime, répond à son interlocuteur qui vient de lui demander "Montre-moi ton Dieu"...

Et pour tout dire, cette phrase m'a laissé circonspect durant des années : "Montre-moi ton homme, et je te montrerai mon Dieu".*

Oh, bien sûr, elle peut signifier "montre-moi que tu es véritablement homme, un homme digne de ce nom, ouvert au réel, prêt à accepter le vrai même si ce vrai n'est pas ce que tu crois", et c'est bien ainsi qu'un ancien traducteur l'avait compris, et sans doute a-t-il raison**.

Mais j'y vois maintenant autre chose.

Comme une pierre de touche de l'authenticité de la personne :

"Montre-moi ton homme"... montre-moi comment tu considère les autres humains, tes semblables. Montre-moi comment tu traites ces humains créés par Dieu, comme toi. Montre-moi cela, laisse-moi le voir, et alors je saurais qui tu es, je saurais qui est ton Dieu. Non dans des discours sur la nature de Dieu ou du hasard.

Tu veux parler de Dieu ? Soit, parlons de l'homme. De l'homme tel que tu le vois, tel que tu le traites, tel que tu l'accueille ou le rejette, tel que tu marches avec lui ou l'exploites...

Et de fait, même si ce faisant je m'éloigne sans doute du sens que Théophile mettait dans sa parole, je rejoins quand même l'Evangile.

Nous sommes depuis peu dans le Carême, et le "dimanche du Jugement dernier" n'est pas si loin que nous l'ayons oublié, ce dimanche où il est question de la séparation par Dieu des humains non sur des critères de foi, de croyance, mais sur la base de nos actes envers les autres.

Non que la foi soit sans importance, certes pas, mais que l'on ne saurait tout réduire à la foi. En effet, "croire en Dieu" n'est la garantie de rien : les démons eux-même sont de grands croyants. Mais peut-on prétendre aimer Dieu en haïssant ses semblables*** ?

 

Aussi, lorsque j'ai appris, comme tout un chacun, les attentats à Bruxelles, toujours par les mêmes "croyants", c'est cette question que je voulais leur poser : "Montre-moi ton homme, montre-moi ce qu'est l'humain pour toi, et nous saurons, toi et moi, quel Dieu tu sers en vérité". Si c'est donc cela pour toi - poser des bombes et assassiner des gens - que "clémence et miséricorde", sache que c'est ce type de "clémence et de miséricorde" que tu récolteras. Et ton "dieu", si puissant (akbar) que tu puisse le croire n'est qu'un vecteur de mort et non de vie.

 

Soyons justes, il n'y a pas qu'en islam qu'il y a des frapadingues pour qui l'amour s'exprime par des charniers, et j'ai le même dégoût pour les inquisiteurs sadiques qui pourchassaient la conscience des hommes "au nom de la sainte Eglise", pour les révolutionnaires français qui faisaient fonctionner la veuve patibulaire à tour de bras "au nom de la Raison", pour les bolcheviks athées qui envoyèrent des millions de personnes au goulag "au nom de l'Humanité", pour les vert-de-gris nazis qui chassaient Juifs, Tziganes et autres mal blondis "au nom de la pureté du Peuple".

 

Sans doute, je ne vaux pas mieux qu'eux, mais au moins je sais que le Royaume de Dieu ne s'impose ni par la force ni par la haine.

Que Dieu nous ait en pitié.

 

 

Notes :

* Premier livre à Autolycus, chap 2

** C'est ainsi que St  Pothin de Lyon, accusé d'être chrétien, se vit demander par le proconsul "Quel est ton Dieu ?" Il répondit "Tu le connaîtras si tu en es digne" (Eusèbe : HE V, I. 31)

*** Cf 1 Jean 4.20, et toute l'épître de St Jacques... Et bien sûr, les deux commandements : "Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C'est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes." (Mt 22.37-40)

 

Publié dans Cigale en colère

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L
Je n'avais jamais envisagé cette lecture de la citation, mais je la trouve pertinente. Merci!
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