Une bible orthodoxe ?
J'ai reçu, il y a quelques jours, un commentaire sur le blog avec la demande suivante:
"Pouvez vous, s'il vous plait, me dire où puis-je trouver une Bible orthodoxe en Français – King James ou autre – pourvu qu'elle soit bien orthodoxe. Merci à l'avance."
Quoique la question soit simple, la réponse l'est moins.
En effet, que demande-t-on à une traduction de la Bible ?
Que, basée sur un texte source le plus assuré possible, elle nous restitue dans une langue familière un texte qui nous est peu accessible parce que rédigé en grec ou en hébreu.
Mais ce n'est pas tout : encore faut-il que cette traduction permette au lecteur – fut-ce au moyen de notes de bas de page – de ne pas se laisser aller à des contresens liés au fait de l'écart historique et culturel entre le moment où ce texte a été écrit et celui où il est lu.
Sans entrer dans les détails techniques, les traductions orthodoxes de la bible existantes sont basées pour l'Ancien Testament sur la Septante, et pour le Nouveau Testament sur le texte dit "byzantin".
On peut discuter sur les mérites comparés de la Septante et du Texte Massorétique, ou encore entre les éditions critiques du NT et le texte "byzantin", ce n'est pas le propos de ce billet..
Disons au moins que c'est ce type de texte que les Pères ont lu et commenté.
Alors, existe-t-il une Bible orthodoxe en français ?
A ma connaissance, non.
Qu'a-t-on qui s'en rapprocherait le plus ?
Pour l'Ancien Testament, on trouvera en librairie les volumes de la Bible d'Alexandrie. Mais, outre qu'il s'agit d'une traduction scientifique et non d'un texte paroissial, cela représente un coût financier non négligeable, et ce n'est en tous cas pas une bible de poche.
Il y a d'autre part, la traduction de Pierre Giguet que j'ai mise en ligne (avec quelques compléments). A vrai dire, et malgré tout le bien que j'en pense (j'ai tout de même passé plusieurs années à la traquer pour la rendre accessible), elle a aussi ses défauts : la langue en est quelque peu ancienne, Giguet était un helléniste classique (traducteur d'Homère) la langue de la septante a nombre de spécificités qui n'ont été étudiées qu'au XXe siècle. Enfin, Giguet – tout bon catholique qu'il fut – ne fréquentait guère les Pères de l'Eglise, et sa traduction est quelque peu pauvre en notes.
Enfin on trouvera, dans les livres liturgiques les traductions des péricopes lues à l'occasion de fêtes et solennités. (Il y a quelques années, un projet de lectionnaire orthodoxe pour l'Ancien Testament, basé sur la Septante et porté par la Société Biblique a failli voir le jour, avant d'être abandonné…).
Pour le Nouveau Testament, la question peut sembler plus simple, puisque toutes les traductions modernes sont réalisées sur le grec. Toutefois l'établissement d'un texte critique a parfois fait disparaître tel bref passage, tel mot qui était passé dans le Texte Byzantin et que tel ou tel père aura commenté…
Sans doute faut-il s'armer de patience, compulser diverses traductions…
Mais au fait, est-ce qu'une "Bible orthodoxe" (souhaitable à bien des égards) règlerait tous les problèmes ?
Déjà, lire et comprendre (au sens de "prendre avec" soi) l'Evangile est un chemin de toute une vie, et sans doute une Bible de pèlerin est déjà mieux que rien. Plus que la traduction que l'on a sous les yeux, ce sont les yeux que nous utilisons qui donnent sens à ce que nous lisons. (A ce propos, j'avais aussi écrit un billet sur "comment lire l'Evangile")
Car au fond, la seule traduction orthodoxe qui compte, c'est "comment est-ce que nous traduisons en actes dans la vie réelle les paroles que nous lisons dans la Bible, ou entendons à l'Eglise"…
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Quant à la "King James", cette fameuse version anglaise datée de 1611 correspond à ce cahier des charges ?
Disons-le de suite, j'ai une certaine affection pour cette traduction, que j'ai pas mal lue durant mes années d'études. Mais peut-elle être considérée comme un modèle de "traduction orthodoxe" ?
En fait, elle est basée, pour l'Ancien Testament, sur le texte hébreu "massorétique" (qui, pour un certain nombre de passage ne correspond pas au texte de la Septante), et pour le Nouveau Testament, sur le texte d'Erasme (qui ne correspond que partiellement au texte "byzantin"), et a pour caractéristique de ne comporter aucune note d'érudition. Donc il n'y a aucune raison de la prendre comme base ou comme modèle de traduction orthodoxe.