Un saint discret

Publié le par Albocicade

Hier, nous célébrions la "dimanche de l'orthodoxie", premier dimanche de grand carême, rappel de la légitimité des représentations iconographiques face à tous les iconoclasmes à courte vue, puisque le fond de la question est que le Dieu invisible s'est fait "réellement visible" (et non pas en apparence ou en illusion) en devenant homme "pour notre salut".
Aujourd'hui, c'est l'Annonciation à Marie, "prémices de notre salut", puisque s'il n'y a pas incarnation du Verbe, il n'y a ni résurrection du Christ, ni salut du monde. C'est aussi pourquoi les Portes royales, dans l'iconostase sont traditionnellement décorées d'une scène de l'Annonciation.
Cependant, c'est encore un autre aspect de ce jour que je voudrais partager : la présence discrète de St Dismas.
Comment ça, ça ne vous dit rien ?
Ben, c'est normal, j'ai bien parlé de "présence discrète", non ?
De fait, quiconque a lu l'évangile1, quiconque a participé à une Divine Liturgie a déjà entendu parler de lui, mais sans connaître son nom.
Avant la communion, nous demandons2 :
"À ta Cène mystique, Fils de Dieu, reçois-moi aujourd’hui.
Je ne révélerai pas le Mystère à tes ennemis ;
je ne Te donnerai pas de baiser comme Judas,
mais comme le Larron je Te confesse :
souviens-Toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume."
"Comme le larron", délicate formulation pour parler de l'homme (fut-il "résistant-zélote" ou "brigand des grands chemins ?) condamné à mort et crucifié avec un de ses collègues en même temps que Jésus.
C'est ce "larron" dont parle l'office lorsqu'on chante durant le Carême3
Pilate érigea trois croix sur le Golgotha, *
deux pour les larrons et une pour le Prince de la vie;
et aussi
Un larron t'invectivait sur la croix, *
l'autre confessa ta divinité; *
tous deux cependant * partageaient les mêmes tourments.
Et au Vendredi saint
Seigneur qui pour compagnon de route as pris le Larron *
aux mains souillées de sang, *
daigne nous prendre avec lui, nous aussi, *
dans ta bonté et ton amour pour les hommes.
Sur la croix le Larron parla brièvement, *
mais grande était sa foi; *
en un instant, il trouva le salut *
et franchit le premier les portes du Paradis. *
Seigneur qui acceptas son repentir, aie pitié de nous.
Puisque
La clef du bon Larron ouvre le Paradis:
«Seigneur, en ton royaume souviens-toi de moi!»
 
Or, il se trouve que, selon une ancienne tradition4, Jésus est mort un 25 mars. Or le "bon larron" étant mort le même jour, il est commémoré à cette date.
Ainsi, le jour de la fête l'Annonciation est aussi celui de l'entrée au paradis du tout premier chrétien.
Un gars pas bien reluisant, certes... mais n'est-ce pas précisément la condition humaine ?
Alors, il est vrai que tant dans l'Evangile que dans la Liturgie, ce "bon larron" reste anonyme. Mais la tradition, qui n'est jamais avare5, lui a trouvé un nom : Dismas6.
 
Tout plein de notes à fouiller !
1Il est question de ces brigands en Matthieu 27.38-44 ; Marc 15.27-32 ; Jean 19.18. Seul St Luc (23.32-43) mentionne le fait qu'un des brigand se tourna vers Jésus en le reconnaissant comme le Messie.
2Le texte complet de cette prière est : "Je crois, Seigneur, et je confesse que Tu es en vérité le Christ, le Fils du Dieu vivant, venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis le premier. Je crois encore que ceci même est ton Corps très pur et que ceci même est ton Sang précieux. Je Te prie donc : aie pitié de moi et pardonne-moi mes fautes volontaires et involontaires, commises en paroles et en actes, sciemment et par inadvertance, et rends-moi digne de participer, sans encourir de condamnation, à tes Mystères très purs, pour la rémission de mes péchés et la vie éternelle. Amen.
À ta Cène mystique, Fils de Dieu, reçois-moi aujourd’hui. Je ne révélerai pas le Mystère à tes ennemis ; je ne Te donnerai pas de baiser comme Judas, mais comme le Larron je Te confesse : souviens-Toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume.
Que la participation à tes saints Mystères, Seigneur, ne me soit ni jugement ni condamnation mais la guérison de mon âme et de mon corps. Amen. "
3Je prends en divers endroits, puisque la présence du "bon larron" y est extrèmement fréquente.
4Cette tradition est diversement attestée. Certains des Cappadociens, dont parle Epiphane de Salamine dans son Panarion, section contre les Quartodécimans (n° 30/50) qui célébraient Pâques le 25 avril affirmaient tenir cette date des "Actes de Pilate", un texte fort ancien, où l'on trouve effectivement cette date (8 des calendes d'Avril = 25 mars) dans le Prologue : "La quinzième année du règne de Tibère César, empereur des Romains, Hérode étant roi de Galilée depuis dix-huit ans ; et le huitième jour des calendes d'avril, sous le consulat de Rufus et Rubellion ; en la quatrième année de la deux cent deuxième olympiade, Joseph Caïphe étant grand prêtre des Juifs, Nicodème rapporta tous les événements survenus après le crucifiement et la passion du Seigneur, et il les fit connaître aux grands prêtres et aux autres Juifs." Ceci était déjà attesté par Tertullien : "La sanglante immolation s'accomplit vers la fin des soixante-dix semaines, pendant le règne de Tibère, sous le consulat de Rubellius Géminus et de Rufus Géminus, au mois de mars, dans les temps de Pâque, le huitième jour des calendes d'avril, premier jour des azymes" (Adv Jud VIII.) ainsi que par Hippolyte de Rome : "La première parousie de notre Seigneur, la parousie charnelle qui le fait naître à Bethléem, a eu lieu le huitième jour des calendes de janvier, un mercredi, en la quarante-deuxième année du règne d'Auguste, cinq mille cinq cents ans après Adam. Il a souffert sa passion la trente-troisième année, le huitième jour des calendes d'avril, un vendredi en la dix-huitième année de Tibère César, sous les consuls Rufus et Rubellion."(Commentaire sur Daniel ; IV.23)
5J'aurais (presque) pu vous épargner la rencontre de la "sainte famille" avec les deux brigands et leur troupe, telle qu'elle est narrée au chapitre 23 de l'Evangile arabe de l'enfance, mais à la réflexion, elle a sa place en note : Partis de là, ils arrivèrent dans une terre déserte, et ils apprirent qu'elle n'était pas sûre. Joseph et sainte Marie eurent l'idée de traverser ce pays durant la nuit. Tandis qu'ils cheminaient, ils aperçurent, sur leur route, deux brigands qui dormaient, et avec eux se trouvait toute une bande d'autres brigands leurs compagnons, qui dormaient également. Ces deux brigands qu'ils venaient de rencontrer étaient Titus et Dumachus. Titus dit à Dumachus : "Laisse à ces gens le chemin libre pour qu'ils passent, et que nos compagnons ne les remarquent pas !" Dumachus n'y consentit pas. Titus lui dit: "Je te donne quarante drachmes, et prends ceci comme gage." Et il lui présenta la ceinture qu'il avait aux reins, pour le décider à se taire et à ne dire mot. Quand Dame sainte Marie vit la belle conduite de ce brigand envers eux, elle lui dit : "Le Seigneur Dieu vous protégera de sa droite et il vous accordera le pardon de vos péchés." Le Seigneur Jésus prit la parole et dit à sa mère : "O ma mère, dans trente ans, les Juifs me crucifieront en la ville de Jérusalem et, avec moi, ils crucifieront ces deux brigands, Titus à ma droite et Dumachus à ma gauche; et, après ce jour, Titus me précédera dans le paradis."(note 1) Elle lui dit : "Que cela vous soit épargné, mon fils !" De là, ils se rendirent à la ville des idoles. Et lorsqu'ils s'en approchèrent, elle fut renversée et réduite en colline de sable.
6Enfin, quand j'écris "un", je simplifie beaucoup, puisque les traditions sont multiples : Les "Actes de Pilate", appelés aussi parfois "Evangile de Nicodème", indiquent au cours du récit de la Passion les noms de Dysmas (Δυσμας) et Gestas (Γεστας) pour les deux "malfaiteurs" (Act Pil 9.5) Le texte précise même que c'est Dysmas qui réprimanda son compagnon, et demanda au Christ de se souvenir de lui dans son Royaume (10.2). Toutefois un autre apocryphe, la "Narratio Iosephi" précise que Gestas avait commis des meurtres, non pas "Démas" ( Δημας). Les noms de Titus et Dumachus se retrouvent dans l'évangile arabe de l'enfance, ainsi que (malgré quelques variantes) dans sa version syriaque. D'autre part, une homélie de Sévérien de Gabala (De filio prodiguo, 3) fait des deux malfaiteurs des meurtriers, qui ont "tué des vivants" tandis que le Christ a "rendu des morts à la vie". Notons enfin, pour terminer, que le "codex colbertinus 4051" (BN, Paris, Lat. 254), un manuscrit latin des évangiles du XII ou XIIIe siècle nomme les 2 malfaiteurs "Zoatham" et "Cama" (en Mt 27.38) ou "Zoathan" et "Chammatha" (en Mc 15.27)
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