Arc en ciel

Publié le par Albocicade

 

L'autre jour, raccompagnant mon aînée à son village, nous faisons face à un magnifique arc-en-ciel : même s'il ne présente qu'un seul pied et ne s'élève pas très haut, il est si large qu'il s'offre à l'œil de manière généreuse, permettant de contempler sans peine les sept couleurs du spectre visible de la lumière naturelle.
J'aime les arcs-en-ciel, qui m'évoquent toujours ce passage de la Genèse, où Dieu s'adressant à Noé après le déluge lui dit:
J'établis mon alliance avec vous: aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du déluge, et il n'y aura plus de déluge pour détruire la terre. Et Dieu dit: Et voici le signe de l'alliance que j'établis entre moi et vous, et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à toujours: j'ai placé mon arc dans les nuages, et il servira de signe d'alliance entre moi et la terre. Quand j'aurai rassemblé des nuages au-dessus de la terre, l'arc paraîtra dans les nuages ; 15et je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous, et tous les êtres vivants, de toute chair, et les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire toute chair. L'arc sera dans les nuages; et je le regarderai, pour me souvenir de l'alliance perpétuelle entre Dieu et tous les êtres vivants, de toute chair qui est sur la terre. Et Dieu dit à Noé: Tel est le signe de l'alliance que j'établis entre moi et toute chair qui est sur la terre. (Genèse 9.12-17)
Et comme ça, sans y réfléchir trop, je lui dis que la mention de l'arc-en-ciel (avec la promesse qui lui est associée) est une des différences majeures (il y en a bien d'autres !) entre le récit biblique du déluge et les mythes antérieurs sur le même sujet.
Mais voila que rentré à la maison, un doute s'immisce : suis-je bien certain de cela ? Ne me serais-je pas avancé un peu vite ?
Bref, je lance une rapide enquête sur internet et… funérailles ! je lis sur un site de vulgarisation scientifique à destination des élèves[1] que
"L'un des plus anciens textes mentionnant un arc-en-ciel est l'Épopée de Gilgamesh"
Allons bon ! Il va me falloir vérifier cela.
 
M'armant de mon "Bottéro"[2], je me plonge dans la lecture du récit du déluge, dans la tablette XI… sans rien y trouver. Je tente une autre traduction… pas mieux. Je regarde les autres récits antiques (l'Atra-Hasis, le récit sumérien du déluge, le fragment de Ras-Shamra, et même les résumés de Bérose et d'Abydène) : bernique !
Allons bon. D'où est donc sortie cette affirmation que l'on trouverait la mention de l'arc-en-ciel dans l'épopée de Gilgamesh ?
Après quelques recherches (et parce que je ne suis pas le premier à me poser cette question !) j'ai fini par dénicher la source – tout à fait erronée – de cette affirmation.
L'unique mention de l'arc-en-ciel dans l'épopée de Gilgamesh ne se trouve pas en clôture du déluge (donc tablette XI), mais à la fin de la tablette VII… et ceci non dans le texte original, mais dans une seule et unique traduction anglaise publiée en 1884 et intitulée "Ishtar and Izdubar"[3].
Mais peut-on encore appeler "traduction" cette broderie chargée de fanfreluches qui amoncelle des mots, des rimes, des idées dont on ne trouve nulle trace dans l'original ?
 
Donc, finalement, j'avais bien vu juste : l'arc-en-ciel de l'alliance est bien une spécificité du texte biblique.
Et puisque nombreux sont ceux qui insistent sur les similarités entre les récits (et elles sont pléthores !) mais qu'il faut aussi bien prendre la mesure des différences ; pour aller un tout petit peu plus loin je vous donne en comparaison les récits babyloniens et bibliques du sacrifice qui suivit la sortie de l'arche.
Dans Gilgamesh[4], alors qu'à la fin de son récit de l'épisode du déluge, Uta-napishti explique à Gilgamesh qu'étant sorti du bateau, il fit une offrande de parfums aux divinités, nous lisons :
 
Les dieux, humant l’odeur, humant la bonne odeur,
S’attroupèrent comme des mouches autour du sacrificateur !
Mais, dès son arrivée, la princesse-divine brandit le collier de grosses "mouches"
Qu'Anu lui avait fait au temps de leurs amours Et s’exclama :
« O dieux ici présents, je n'oublierai jamais Ces lazulites de mon collier :
Jamais je n'oublierai, non plus, ces jours funestes : J’en ferai toujours mémoire !
Les autres dieux peuvent venir prendre part au repas,
Mais Enlil n'y devrait point paraître,
Puisque, inconsidérément, il a décidé le Déluge et livré mes gens à l’extermination ! »
 
Autrement dit, les "dieux" arrivent comme des mouches pour se repaître du sacrifice, tandis que la divinité-mère (qui sera ensuite assimilée à Ishtar/Astarté) considère que la présence du dieu Enli est inconvenante, puisque c'est lui qui a de sa propre initiative déclenché le déluge.
Comparons avec le récit biblique[5]
 
Noé bâtit un autel à l'Eternel; il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs, et il offrit des holocaustes sur l'autel. L'Eternel sentit une odeur agréable, et l'Eternel dit en son coeur: Je ne maudirai plus la terre, à cause de l'homme, parce que les pensées du coeur de l'homme sont mauvaises dès sa jeunesse; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l'ai fait.
Et c'est suite à cette décision que l'on trouve l'alliance de l'arc-en-ciel.
 

[1] Site auquel justement je vous renvoie plus haut pour le spectre de la lumière : il n'écrivent pas que des bétises.
[2] Jean BOTTERO : "Lorsque les dieux faisaient l'homme", 1993 (dont une copie se trouve ici)
[3] Oui, à l'époque, ne sachant pas transcrire correctement les mots, on prononçait "Izdubar" celui que l'on appelle "Gilgamesh". Cela donne une idée de ce que peut donner une traduction à une telle période de balbutiements…
[4] Bottéro p 574, Tablette 11. 159-169
[5] Genèse 8.20-21
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