Un sacrilège déguisé en bonnet ?
C'était il y a deux ou trois semaines, un samedi matin où je désoeuvrais dans une ville proche, ayant une petite heure à traîner avant un rendez-vous. Je déambulais donc, sans vrai but, comme ça. Le col remonté, le bonnet sur le crâne : il faisait bien frisquet.
Tiens, si j'allais à l'église du lieu, généralement ouverte et pas bien loin. En un rien de temps, j'y suis, entre. Sur un banc près de l'entrée, un curé vêtu d'une aube pléonastique[1]. Je le salue d'un sourire accompagné d'un hochement de tête. Il me décoche, en retour, un regard noir, chargé d'un reproche muet. Je ne comprend pas. Un geste sec de la main, une parole brusque : "Votre bonnet ! enlevez votre bonnet !" Je suis soufflé. Dans ma tête se bousculent des histoires que je vous raconterai juste après. Je balbutie : "C'est ridicule... vous ne me connaissez pas et vous me chassez..."
Le prélat, digne FDD[2], réplique, cassant "Je ne vous chasse pas ! Mais vous avez la foi ? Si vous avez la foi, vous savez que ce n'est pas ridicule !".
Jusque là, je n'ai pas même eu le temps d'enlever mon pauvre bonnet. Et là, vraiment, je n'en ai plus du tout envie. Je fais demi-tour, rejoins la porte, me ravise reviens vers le tonsuré de service : "Vous avez raison, sans doute ! Oui, il n'y a que l'extérieur qui compte... bonne journée, Monsieur le Saducéen !"
Puis je sors, entre stupéfaction, colère et fou-rire. Ça existe encore, des gens comme ça ?
Et je repense à ma voisine communiste, digne octogénaire qui n'a plus mis les pieds dans une église depuis sa première communion. Ce jour là, elle avançait, émue, portée par une piété qui commençait à éclore. Au moment d'entrer dans l'église, avançant avec les autres enfants, elle entend distinctement, en provenance de deux grenouilles de bénitier, "Tiens ! il y a même la fille à Untel, ce Rouge !"
Mortifiée, broyée, elle est entrée, a communié dans le vide de son coeur, est ressortie athée (ce qui ne l'empêche pas de prier quand même parfois, mais toujours douloureusement).
Et je repense à cette amie moscovite, qui, au moment de la perestroïka est entrée dans une église orthodoxe en sortant du travail, un peu par curiosité, un peu par défi contre l'athéisme d'Etat qui lui avait été imposé jusque là, un peu pour retrouver la foi, la vie chrétienne qui était possible avant la Révolution. Un jeune prêtre, ensoutané de noir l'a proprement éconduite parce qu'elle était en pantalons, lui disant de revenir quand elle serait vêtue décemment. Elle n'y est jamais retournée. Depuis, elle est venue habiter en France, et sa vie chrétienne, elle la vit dans une paroisse protestante.
Et je repense aussi à ce dimanche londonien, où, durant la Divine Liturgie, le Métropolite Antoine Bloom en guise d'homélie, tint les propos suivants :
"Hier soir, une femme accompagnée d'un enfant est venue dans cette église. Elle était en pantalons, tête nue. Quelqu'un l'en a réprimandé, et elle est repartie.
Je ne sais pas qui a fait cela, mais j'ordonne à cette personne de prier Dieu jusqu'à la fin de ses jours pour le salut de cette femme et de son enfant. A cause de vous, peut-être ne retournera-t-elle jamais à l'Eglise".
Puis, faisant demi-tour, il rentra dans le sanctuaire. Ce fut, ce jour là, tout son sermon.