La greffe de la jambe du Maure

Publié le par Albocicade

Actuellement, un de mes voisins – peintre surréaliste – travaille sur une toile montrant une femme, de face et de dos. De face, elle est blanche, de dos, noire. La même silhouette découpée, sur une balançoire.

Cette toile m'a rappelé une anecdote qu'un ami médecin et prêtre orthodoxe m'avait racontée.

Une anecdote qui met en scène les saints Côme et Damien, deux frères médecins, qui soignaient gratuitement les pauvres et qui subirent le martyre sous Dioclétien, entre 303 et 310.

Je dis "qui met en scène", puisque le miracle qui leur est attribué se passe au moins 200 ans après leur martyre[1].

Récit du miracle d'après la "Légende Dorée" de Jacques de Voragine :

Le pape Félix, aïeul de saint Grégoire, fit construire à Rome une magnifique église en l’honneur des saints Côme et Damien. En cette église se trouvait un serviteur des saints martyrs auquel un  chancre avait dévoré toute une jambe. Or, voilà que, pendant son sommeil, lui apparurent les saints Côme et Damien qui portaient avec eux des onguents et des instruments. L'un dit à l’autre : « Où aurons-nous de quoi remplir la place où nous couperons la chair gâtée ? » Alors l’autre répondit : « Dans le cimetière de saint Pierre-aux-Liens, se trouve un Ethiopien nouvellement enseveli; apporte de sa chair pour remplacer celle-ci. » Il s'en alla donc en toute hâte au cimetière et apporta la jambe du maure. Ils coupèrent ensuite celle du malade, lui mirent à la place la jambe du maure, oignirent la plaie avec soin; après quoi ils portèrent la jambe du malade au corps du maure. Comme cet homme en s'éveillant ne ressentait plus de douleur, il porta la main à sa jambe, et n'y trouva rien d'endommagé. Il prit donc une chandelle, et ne voyant aucune plaie sur la jambe, il pensait que ce n'était plus lui, mais que c'était un autre qui était à sa place. Enfin revenu à soi, il sauta tout joyeux hors du lit, et raconta à tout le monde ce qu'il avait vu en dormant et comment il avait été guéri. On envoya de suite au cimetière, et on trouva la jambe du maure coupée et celle de l’autre mise dans le tombeau.

 

Ce que l'on sait actuellement des possibilités de greffes d'organes rend très improbable une greffe de ce type, puisqu'il faut une compatibilité tissulaire qui est loin d'être fréquente[2]. Pour autant, la question n'est pas d'ordre médical, mais théologique (en effet, il est bien question d'un "miracle") : il y a affirmation (ou plutôt, "réaffirmation") que tous les humains sont une seule et même "famille" (la première affirmation se trouve dans la Genèse où tous les humains descendent d'Adam), et qu'à ce titre le racisme est une absurdité : il n'y a pas tel groupe qui serait "plus humain" qu'un autre. Et c'est cette affirmation que mon ami retenait de ce miracle. Ah, au fait, il était prêtre d'une paroisse "St Côme et St Damien".

 

[1] Le Pape Félix dont il est question ici est Félix IV (526-530) qui transforma la "Bibliotheca Pacis" sur le Forum de Vespasien pour en faire la basilique Santi Cosma e Damiano.

[2] On considère qu'en dehors de la fratrie, il y a une chance sur un million de trouver un donneur compatible. Voir par exemple ce court article sur le sujet.

Publié dans Cigale sociale

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