Dormition 2013

Publié le par Albocicade

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Il y a déjà quelques temps, j'avais composé un petit recueil relativement complet de textes sur le thème de la Dormition (document toujours accessible).

Cette année j'ai décidé de mettre quelque peu à contribution mon cher Théodore Abu Qurrah.

L'anecdote*, rapportée par un de ses auditeur, a eu lieu bien avant qu'il soit évêque de Harran, sans doute dans sa jeunesse.

 

En compagnie d'un autre chrétien plein de zèle, ils allaient de lieu en lieu comme des nomades étrangers, vivant dans l'humilité à cause du Christ.

Etant arrivé dans un village où des chrétiens venaient de célébrer un mariage, ils furent – à cause des règles sacrées de l'hospitalité – retenus pour les réjouissances et le repas et, sans tenir compte du fait qu'ils étaient dans une tenue des plus modestes, on les installa à la table d'honneur.

Dans ces régions de Syrie où les gens se côtoient, il n'y avait rien d'étonnant qu'à leur table se trouvent aussi des invités musulmans.

Cependant, l'un d'eux se mit à apostropher ses hôtes chrétiens, leur demandant : "Répondez-moi : que pensez-vous d'un homme qui tue sa mère ?"

La provocation était cousue de fil blanc, le sens de la question étant précisément : "Puisque vous, chrétiens, affirmez que le Christ est Dieu, et que Dieu est maître de la vie et de la mort, comment pouvez-vous l'honorer alors qu'il a fait mourir celle qui lui a transmis la vie ?" On comprend dès lors l'embarras des chrétiens présents qui demandèrent à ne pas avoir à répondre à cette question, afin que la joie de la noce ne leur soit pas gâchée. De son côté, le questionneur insistait de plus en plus lourdement.

Voyant le désarroi de leurs hôtes, l'ami de Théodore invita ce dernier à apporter une réponse,  ce qu'Abu Qurrah refusa dans un premier temps, ne voulant pas se faire remarquer. Cependant, devant l'insistance du musulman très fier de sa provocation, le compagnon de route d'Abu Qurrah lui dit : "Pour l'amour de Dieu, tu dois lui répondre ! Il a mis le doute dans le cœur de tous les chrétiens ici présents, et toi tu t'en fiches !" A ces mots, Abu Qurrah interpella avec audace le questionneur, lui demandant : "Pourquoi ne m'as-tu pas posé ta question, à moi ?"

Se rendant compte qu'il avait affaire à quelqu'un capable de lui tenir tête, le provocateur commença à perdre de son assurance et chercha à passer à autre chose. C'est alors que son voisin de table, musulman lui aussi, l'interpella en ces termes : "Après avoir harcelé tout le monde au point de leur gâcher le repas, tu prétendrais te défiler maintenant que tu as en face de toi quelqu'un prêt à te répondre ?" Ainsi coincé, le questionneur fut donc bien obligé de poser à Abu Qurrah la question : "Que penses-tu de quelqu'un qui tue sa mère ?", ce à quoi Théodore répondit, du tac-au-tac : "J'en pense la même chose que ce que toi, tu penses de quelqu'un qui tue son ami."

Déconcerté, le musulman demanda "Et de qui parles-tu ?"

Et la réponse fut : "De ton Dieu."

Voyant que le hardi questionneur musulman perdait complètement pied, Abu Qurrah expliqua : "Ne sais-tu pas qu'Abraham était l'ami de Dieu ?** A cause de Dieu, Abraham a tout quitté : parent, pays, amis pour partir vers d'autres contrées. Il avait avec lui son épouse, la plus belle des femmes, une tentation pour tous ceux qui la voyaient et à cause de cela il faillit à plusieurs reprises se faire tuer. Il supporta toutes ces épreuves par obéissance pour Dieu. Puis, alors qu'il était âgé, un fils lui est né, sa consolation dans le monde et la réjouissance de son cœur. Mais Dieu lui ordonna de lui sacrifier ce fils, et Abraham prit un couteau pour sacrifier celui qu'il aimait tant. Et après qu'Abraham se soit ainsi consacré à Dieu par son amour et son obéissance, Dieu a volontairement tué Abraham ; dans la mesure où c'est toi-même qui as appelé la mort un "meurtre".

Maintenant, si tu me voyais servir un roi, lui obéir comme Abraham obéissait à Dieu, et que ce roi me tue, voudrais-tu l'avoir toi-même pour souverain ?".

Le musulman reconnut que non, mais retournant la question, il demanda alors

"Ne dis-tu pas, toi aussi, que le Dieu d'Abraham est ton Dieu ?" Et comme Abu Qurrah acquiesçait, le musulman lança "Alors, tu as tort tout autant que moi !"

 

Sans se laisser démonter, Abu Qurrah lui dit : "Non, c'est sur toi seul que retombe la faute, puisque c'est toi qui blâme une action qui est de celles que ton Dieu a faites. Pour moi, j'ai un moyen d'échapper à l'une comme à l'autre des contradictions".

De plus en plus étonné, le musulman demanda comment il pouvait se sortir de ce dilemme, mais Théodore refusa de lui répondre dans la mesure où il n'avait pas daigné traiter ses hôtes et les autres invités avec respect.

Cependant, face à la demande instante de l'ensemble des membres de la noce, il se laissa fléchir et expliqua :

- "Dis-moi, Dieu n'est-il pas juste ?"

- "Si."

- "Si j'étais un roi et que je t'accuse toi, ainsi que mon père et que mon meilleur ami, d'un seul et même crime, qui mérite à chacun de vous la sentence de mort, mais qu'ensuite je renonce à la peine de mort pour mon père et mon ami, tout en la maintenant pour toi, ne considérerais-tu pas que j'ai outrepassé les bornes de la justice ?"

- "Oui, bien sûr"

- "Ne sais-tu pas que Dieu a condamné Adam et toute sa descendance à mourir ? Si donc il avait mis en œuvre de faire mourir tous les humains, mais en épargnant ceux qu'il aime, cela n'aurait-il pas annulé sa première sentence ? Or, loin de lui qu'il se contredise lui-même, sans quoi il serait un objet de moquerie ! Qu'il soit exalté au-dessus tout cela !"

Ce à quoi le musulman répondit : "Tu as raison, et tu as mis mon cœur à l'aise : que Dieu te bénisse !"

 

Les P'tites notes explicatives

* Ce récit fait partie d'un "recueil d'anecdotes" qui se trouve dans un manuscrit arabe inédit, une traduction anglaise étant en préparation. Plutôt que de le livrer en une traduction brute, avec plein de notes autours, j'ai préféré en présenter une "adaptation"

** Concernant Abraham, le qualificatif "ami de Dieu", provient de l'Ancien Testament (Esaïe 41.8 "Et toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j'ai choisi, race d'Abraham, mon ami") et se trouve explicitement mentionné dans le Nouveau Testament (Jac 2.23 "Ainsi s'accomplit ce que dit l'Écriture: Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice; et il fut appelé ami de Dieu"). Ce qualificatif a ensuite été repris dans le Coran (4.125 "Qui est meilleur en religion que celui qui soumet à Allah son être, tout en se conformant à la Loi révélée et suivant la religion d'Abraham, homme de droiture? Et Allah avait pris Abraham pour ami privilégié").

C'est donc à dessein qu'Abu Qurrah l'emploie vis-à-vis de son interlocuteur musulman. Il fait de même dans le "Traité pour la défense des saintes images" (chap 9 et 12).

 

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