La casquette

Publié le par Albocicade

"Belle bâche !", qu'il m'a dit, l'ami musicien lorsqu'un jour j'arrivai chez lui à l'improviste surmonté de mon couvre-chef tout neuf. Le mot m'a fait plaisir, d'autant que je l'étrennais avec un soupçon de fierté. Dame !  c'était un cadeau de la jeune Cigale, et elle était parfaite : une de ces casquettes anglaise en feutre, chaude, avec cache-oreilles intégrés dépliables pour affronter les frimas hivernaux. Et pas un machin bas de gamme, non… une Stetson[1] !

A dire vrai, aussi utile à la demi-saison ou l'été qu'une chapka, mais pour l'hiver…

Bref, j'ai pris l'habitude d'alterner avec d'autres gapettes, selon le besoin du jour.

Et justement, l'autre jour, après une pluie glaciale qui avait détrempé ma casquette de printemps tout le matin, je décidai (au vu des températures inconvenantes pour un mois de mai[2]) de ressortir ma coiffe hivernal pour l'après midi.

Sauf que, funérailles, à peine avais-je fini mon ouvrage que je me surprenais à être nu-tête, sans pourtant me souvenir de m'être découvert un instant.

Je retournai sur mes pas, cherchai de-ci, de-là sans parvenir à retrouver la fugueuse. Je rentrais le soir, morose, morfondu. Ce n'était certes qu'une casquette, mais en fait si chargée de sens, si investie d'émotion que je ne parvenais pas à me résoudre à sa perte.

Le lendemain matin, j'interrogeai les collègues, au cas où l'un d'entre eux aurait trouvé. Mais non.

Je commençais à envisager le moment où il me faudrait annoncer à la jeune Cigale que j'avais perdu son cadeau.

Repassant dans la matinée au dépôt, un collègue me crie "Hé ! ton béret est là, sur ce poteau !"

Ne lui tenant pas rigueur de son manque d'éducation (non, ce n'est pas un béret !) je me précipitai à l'endroit désigné, et envahi par une immense vague d'émotion me saisis du précieux revenant. Cette émotion, mélange de joie et de crainte rétrospective, de reconnaissance aussi me dura plusieurs heures, et je commençais à m'interroger sur la légitimité d'un tel bouleversement. Après tout, ce n'est qu'un bout de tissus, n'est-ce pas ? Mais non ! c'est l'attention longuement préparée de ma fille puînée, c'est aussi sa présence avec moi lorsque je la porte, c'est un gage d'affection malgré l'éloignement… et bien d'autres choses encore.

Le premier parallèle qui me vint à l'esprit, ce fut la "parabole du fils prodigue". Mais n'était-ce pas abuser du texte que de comparer la joie du "père" apercevant son rejeton revenant pouilleux mais vivant à la maison avec mon soulagement à retrouver une… casquette ?

Si bien sûr ! Et pourtant, l'Evangile me fournit alors un autre exemple, plus juste, alors que j'étais encore en train d'accomplir les tâches de mon emploi : la "parabole de la pièce égarée".

Et mine de rien, c'est aussi un rappel de la part légitime de l'émotion dans la foi. Oh, certes, l'émotion ne doit pas prendre toute la place, pas tout envahir. Mais c'est quand même l'émotion qui est en quelque sorte l'interface, le lieu d'échange, entre des personnes vivantes.
Allez, deux petites notes pour la route :

[1] Autrement dit, elle s'était quelque peu ruinée pour m'offrir cela. Celles que j'ai acheté depuis sont d'extraction plus modeste.

[2] D'où le proverbe "En avril, ne te découvre pas d'un fil, en mai… non plus !"

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