Martyr ou soldat ?

Publié le par Albocicade

Il y a déjà quelques années, je vous avais partagé (à la fin d'un billet sur Pâques) une réflexion sur le sens du terme "martyr", selon le contexte dans lequel il est employé.
Précisément, il s'agissait, en citant un passage de l'Apologie d'Al Kindi, de noter la différence fondamentale de sens entre celui qui est assassiné  par un pouvoir despotique au prétexte qu'il refuse d'apostasier la foi (ce qui est le sens chrétien du mot) et celui qui trouve la mort au combat, parce qu'il est parti guerroyer contre les infidèles, hérétiques et autres mécréants (et qui reçoit dans l'islam le qualificatif de "shaïd" (شهيد ), martyr).
A vrai dire, on pourrait comprendre qu'un chef militaire souhaitant exalter l'ardeur de ses soldats au combat, ait la tentation de faire usage de tous les arguments possibles, même les plus aberrants, même les plus improbables, mais ce serait une confusion étrange que d'identifier guerre et piété.
Or il se trouve que le cas s'est présenté en pays chrétien.
En effet, l'empereur byzantin Nicéphore Phocas, au X° siècle, demanda à ce que ses soldats morts au combat contre les armées musulmanes soient canonisés et vénérés comme martyrs. Cependant, le patriarche orthodoxe Polyeucte lui opposa un refus ferme, considérant que si tuer un homme pour défendre la justice et la religion dans le cadre d'une guerre est moins grave qu'un meurtre délibéré cela n'en fait pas un acte de vertu exemplaire.[1] Il appuyait d'ailleurs sa réponse sur la tradition de l'Eglise, se basant sur le treizième canon de St Basile qui, sans condamner formellement la guerre de défense, ne la place toutefois pas parmi les actes de piété puisque celui qui a tué même en cas de guerre doit s'en repentir  et se tenir à l'écart de la communion  : "Les meurtres commis pendant les combats de la guerre, nos pères ne les ont pas considérés comme des meurtres, excusant par là, me semble-t-il, ceux qui ont pris la défense de la justice et de la religion. Il serait cependant bien de leur conseiller de s'abstenir de la communion seule pendant trois ans, parce qu'ils n'ont pas les mains pures."
Il y a, là encore, une véritable ligne de fracture entre la compréhension du monde par l'islam, et la compréhension du monde selon les Evangiles...
 
 

[1] Voir SCHLUMBERGER : "Un empereur byzantin au dixième siècle, Nicéphore Phocas", 1890, p 392-394.
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