Ce qui reste.

Publié le par Albocicade


Au fil des ans, que ce soit à l'école, dans la vie professionnelle ou même dans les relations sociales, notre atout majeur se décline en terme de connaissance, de capacité d'apprentissage ou de logique.
Acquérir des connaissances et savoir les utiliser à bon escient.
L'émotion se faufile bien tant bien que mal au milieu de tout ça, parfois atout, souvent handicap ; car rien n'est pire que de se laisser déborder par ses émotions...
Mais des connaissances bien rangées, correctement accessibles par une mémoire (qu'elle soit intellectuelle ou réflexe) sans faille, comme sur les pages d'un livre, voilà qui est pratique.
Et puis vient un jour c'est comme si certaines pages de ce livre restaient collées entre elles, que d'autre, déchirées partiellement, mélangeaient leurs lignes avec celles d'autres page du même ouvrage, donnant des sens incongrus, des suites de mots dénuées de cohérence qui pourtant se présentent à l'esprit, à la bouche, à l'oreille.
S'étiolent le sens, la connaissance, la mémoire ; le lien au présent s'estompe, celui au passé devient problématique.
Ne reste alors que l'émotion.
Dernièrement j'étais de passage auprès de Dame ma mère.
C'est bien sûr un crève-cœur que de ne plus pouvoir discuter en sachant que l'on se comprend. Les phrases échangées deviennent de plus en plus pauvres, les quiproquos deviennent la norme. Elle m'appelle "ma belle", et ma barbe qui déjà grisonne ne s'en émeut pas : elle s'adresse à une personne qu'elle apprécie, c'est sûr, même si ni elle ni moi ne pourrions dire de qui il s'agit.
Quelques mots encore font sens, quelques gestes font mouche.
La main tenue, une bise sur la joue... "et une une deuxième sur l'autre joue, qu'il n'y ait pas de jaloux !". Elle rit.
C'était son anniversaire. Il faisait plutôt beau, mais venteux. Nous sommes partis en promenade. Elle dans son fauteuil roulant, moi poussant (il faut dire que je suis devenu presqu'un expert pour conduire en délicatesse) jusqu'à ce que nous trouvions un endroit au soleil, abrité du vent. Là, déballer un petit Paris-Brest, pour l'anniversaire. "L'anniversaire de qui ?", me demande-t-elle. Le sien, mais comment le saurait-elle. N'importe, le geste la touche, la réjouit. Elle mange par petites bouchées que je lui découpe, avec sourire, plaisir.
Nous repartons, et bientôt ce gâteau n'est plus un souvenir.
L'instant a été là, présent, plaisant.
Fini "savoir, mémoire, compréhension..." ce qui reste, c'est l'émotion, la "petite" émotion, qui a longtemps été invitée à se faire discrète, à rester à sa place. Maintenant, sa place s'élargit, alors que les grandes et raisonnables fonctions se sont enlisées.
Maintenant, la "petite" émotion sert d'interface, de lieu d'échange, d'espace de partage ; la "petite" émotion, langage entre des personnes vivantes.

Publié dans Vie quotidienne

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L
très touchant et juste
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J
merci des échos de ta maman avec ce billet;même avec ces diminutions , comme chacun appeler a en avoir au cours de la vie, cela m' aide d' être en communion par la prière de celui qui est la Vie; c' est vrai que vous devez être familier des fauteuils roulants; j' ai traduit que ta maman était resté dans l' ariège et sans doute dans une maison de retraite; pour ma part j' ai eu la joie et j' en rends grace que mon père est resté dans sa maison avec sa tçete si je puis dire jusqu' a 104 ans et ses 2 dernieres années puisque décédé au mosi de juin dernier dans une maison de retraite; dans la joie du christ vivant aujourd' hui et en communuio avec vous tous par la prière . jean marie
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