Erudit ?

Publié le par Albocicade

Ayant eu un peu de temps disponible, j'ai mis la dernière main (enfin, à peu près) à un projet qui court depuis déjà plus de quatre ans, et que, le moment venu, promis, je vous en dirais plus.
Or, une des dernières recherches le concernant portait sur les relations parfois tendues entre l'empereur byzantin Nicéphore Phocas et le patriarche de Constantinople et le patriarche Polyeucte1.
Comment de là me suis-je retrouvé à lire un pamphlet anti-chrétien, précisément destiné à "réfuter les partisans de la croix", écrit par un prêtre espagnol devenu musulman, ce serait trop long à dérouler ici, et sans le moindre intérêt.
D'ailleurs, le pamphlet non plus ne présente pas grand intérêt, et c'est avec étonnement que je découvre – sur un site musulman qu'il est supposé avoir été rédigé par "l’un des plus grands érudits chrétiens de l’époque". Rien que ça.
Une rapide recherche m'en dit un peu plus sur l'auteur, Anselme Turmeda, prêtre franciscain ayant apostasié la foi en 1385 à Tunis, et qui à partir de là se fait appeler Abdallah le Traducteur.
Afin de montrer que l'auteur ne mérite vraiment pas un tel éloge, je me contenterai de deux points.
D'une part, la "cause" de l'apostasie du si savant moine qui – selon son propre récit – a étudié la logique, la physique, l'astronomie et l'Evangile en grec durant de nombreuses années.
Il raconte qu'un jour (il avait plus de 30 ans), en attendant l'arrivée d'un conférencier, les étudiants "s’étaient mis à discuter des questions scientifiques. À un certain moment il se présenta dans leurs discussion cette parole que Dieu a dite par la bouche de son prophète Jésus : « Il viendra après moi un prophète dont le nom est le Paraklète»". Déjà, rien que là, on peut s'interroger sur la validité de "l'érudit", puisque la prétendue citation se trouve non dans l'Evangile, mais est une déformation d'un verset du Coran2. Or, non seulement aucun des savants "étudiants"présents ne semble s'en rendre compte, mais encore le savant prêtre à qui il s'en ouvre lui "révèle" que ce Paraclet serait Mahomet. Ainsi, selon ce récit,aucun "érudit catholique" de l'époque ne semble savoir que dans l'Evangile3 (celui-là même que le prêtre est censé avoir assidûment étudié en grec!) le Paraclet est désigné comme étant l'Esprit saint. Bref, la partie "autobiographique" du récit montre un gars bien peu "érudit", entouré de gens guère plus doués.
L'autre point que je veux relever, c'est au chapitre trois du même document. En effet, l'ex-prêtre devenu musulman tient à faire une réfutation en règle des chrétiens, attaquant tour à tour, les Evangiles, la divinité du Christ, la Trinité ou les pratiques des chrétiens. Par exemple, s'en prenant au baptême, ce savant érudit – qui a pris le temps de composer son ouvrage – écrit :
"Sachez que Luc dit dans son Evangile : « Quiconque aura été baptisé , entrera au ciel , et quiconque n'aura pas été baptisé , aura pour sa part le feu éternel »."
Et ce afin de prouver que, puisque le baptême – qui, selon les chrétiens, remplace la circoncision – est indispensable pour être sauvé, alors les chrétiens sont dans un impasse. En effet, il conclut plus loin :
"Que dites-vous alors au sujet d'Adam , de Noé et de sa postérité , qui n'ont jamais été ni circoncis , ni baptisés , et sont cependant au ciel par le témoignage même de vos Evangiles , d'accord avec tous vos docteurs ! A cette objection , il leur est impossible de répondre d'une façon satisfaisante."
Là encore, notre érudit se montre bien médiocre : non seulement le texte qu'il prétend citer ne se trouve pas dans Luc, mais dans Marc, mais en plus ce n'est pas le baptême, mais la foi qui est au cœur de ce verset :
"Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné." (Marc 16.16)
De sorte que sa démonstration tombe à l'eau4.
Mais en fait, cette question du salut des ceux qui sont morts avant la Venue du Christ est un thème récurrent de la polémique islamique contre les chrétiens, thème auquel Théodore Abu Qurrah avait déjà répondu bien avant l'apostasie de ce pauvre moine.
En voila donc assez pour montrer la médiocrité de l'auteur et de sa prose.
 
Pourquoi m'arrêter si longuement sur un texte dont j'ai dit plus haut qu'il présente pas grand intérêt ? Simplement parce que ce texte5 est actuellement de nouveau édité et utilisé dans la propagande musulmane qui clame que cet ouvrage portait un coup puissant à la structure de la croyance chrétienne, car il provenait de l’un des plus grands érudits chrétiens.
J'ignore si Turmeda est vraiment l'auteur de ce "Présent de l’Homme lettré pour réfuter les partisans de la Croix", mais ce n'est au final qu'un assemblage d'érudition de pacotille, de poncifs de la polémique islamique véhiculés par des gens ignorant ce qu'est l'Evangile, de ragots cent fois réfutés... un bien médiocre "cadeau" par un homme bien peu lettré.
 
Notes (nombreuses et indispensables) :
1Si le sujet vous intéresse, on a une copieuse biographie de Nicéphore disponible sur Archive : "Un empereur byzantin au dixième siècle, Nicéphore Phocas ".
2Coran 61.6 : "Jésus, fils de Marie disait : …/... Je viens …/... vous annoncer la venue après moi d'un Prophète du nom d'Ahmad.»" J'avais abordé cette question précise ici.
3En particulier Jean 14.16-17 : "Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu'il demeure éternellement avec vous, l'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous."
4Ce qui, est paradoxal, parlant du baptême...
5Soit sous son titre "Le Présent de l’Homme lettré pour réfuter les partisans de la Croix", soit sous un autre titre, comme "Pourquoi j'ai embrassé l'islam", voire même sous son titre arabe de "Tuhfa" (Tuhfat al-'aribfi radd 'alà ahl al-salib)...
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