On n'est pas des bêtes !

Publié le par Albocicade

ou

"Petite méditation sur la vanité"

par

St Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople

(fin de la 7e homélie sur l'Epître aux Philippiens)

 

chrysost 

Ainsi, vous êtes robuste et fort, et c'est là votre fierté !

Il n'y a pourtant vraiment pas de quoi ! Et même peut-être devriez-vous en avoir un peu honte : pourquoi s'enorgueillir d'une qualité de si peu de valeur ?

A côté du lion audacieux, du robuste sanglier, vous n'êtes qu'un moucheron.

Non seulement les brigands, les pilleurs de tombe, les gladiateurs, mais même vos ouvriers (et parmi eux, peut-être bien les plus stupides) vous surpassent pour la vigueur physique. Est-ce donc un sujet de gloire ? ne devriez-vous pas plutôt vous cacher de honte, si tel est le sujet de votre orgueil ?

 

Mais peut-être êtes-vous d'une grande beauté ? Laissez aux corneilles cette vanterie ; vous n'égalez certes pas la beauté du paon, rien qu'à voir l'éclat de ses couleurs et la magnificence de son plumage ; la victoire est à cet oiseau, qui certes est mieux coiffé, mieux brillanté. Le cygne encore et bien d'autres volatiles, si vous osez accepter la comparaison avec eux, vous apprendront à n'être pas fier ; de plus les enfants et les jeunes filles, mais encore les prostituées, les efféminés se glorifient de ces vanités. Y a-t-il donc là un juste sujet d'orgueil ?

 

Certes, mais voilà, vous êtes si riche ! Ah ? Et riche de quoi, dites-le moi ? Avez-vous de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ? C'est aussi la gloire des voleurs, des assassins, des gens condamnés aux mines. Ce qui fait la honte de ces criminels sera pour vous un sujet d'ostentation ?

 

Vous, ce sont les vêtements, les parures qui vous embellissent. Magnifique, cela vous fait un point en commun avec vos chevaux... Les Perses font mieux : ils vous montreraient jusqu'à des chameaux richement caparaçonnés ! Mes, les acteurs pourraient vous donner des leçons de luxe. Comment donc ne rougissez-vous pas de vous enorgueillir à propos d'avantages que partagent avec vous les animaux, les esclaves, les meurtriers, les efféminés, les brigands, les profanateurs de sépultures ?

 

Mais vous, vous construisez des palais splendides ! Y a-t-il vraiment là de quoi se glorifier ? Beaucoup de gens en ont de plus magnifiques. Ne voit-on pas tous les jours des gens, que travaille la folle passion des richesses, qui bâtissent des maisons dans des lieux sauvages et déserts, qu'ils n'habitent jamais et qui finissent par servir de demeure aux oiseaux ?

 

De quoi êtes-vous si fiers, enfin ?

De votre belle voix ? Vous ne chanterez jamais plus agréablement que le cygne ou que le rossignol.

De votre habileté mécanique ou artistique ? Construisez-vous plus habilement que l'abeille ? Est-il tapissier, peintre, architecte qui puisse imiter ses travaux ?

De la finesse de vos tissus ? L'araignée vous dépasse.

De la vitesse de vos pieds ? Ah ! reconnaissez que le premier rang revient aux animaux, aux lièvres, aux cerfs, à des bêtes de somme que votre vélocité ne saurait vaincre.

De vos déplacements et voyages ? Les oiseaux, à cet égard, n'ont rien à craindre de la comparaison ; ils voyagent plus commodément, ils changent de séjour, sans avoir besoin d'équipages ni de provisions : leurs ailes suffisent à tout et remplacent vaisseau, coursiers, voitures, vents et voiles, tout ce que vous voudrez.

Serait-ce de votre vue perçante ? L'aigle est encore mieux doué.

De votre odorat ? Le chien sera votre heureux rival.

De votre talent à être économe et à faire des provisions ? Les fourmis sont plus habiles.

D'être tout brillant d'or ? Les fourmis indiennes le sont davantage.

De votre santé ? Les animaux l'ont meilleure ; ils ont plus que vous la solidité du tempérament, et l'admirable instinct de se procurer le nécessaire ; aussi ne craignent-ils pas la pauvreté : "Regardez les oiseaux du ciel", a dit le Seigneur, "ils ne sèment, ni ne moissonnent, ni n'amassent dans des greniers". (Matth. VI, 26.)

 

Ainsi, conclurez-vous, Dieu a créé les animaux dans une condition meilleure que la nôtre. Voyez-vous quelle est notre manque de réflexion ? voyez-vous à quel point nous jugeons mal les choses et comment il est avantageux d'examiner les faits.

Voilà un homme qui se plaçait bien au-dessus de ses semblables et qui se laisse convaincre qu'il est au-dessous des bêtes ! — Allons, épargnons-lui cette honte, et gardons nous de l'imiter. Par ses sentiments d'orgueil, il voudrait s'élever au-dessus de la nature, ne le laissons donc pas tomber plus bas que les animaux ; relevons-le, non pas par égard pour lui-même, car il mériterait de subir cette misérable condition, mais pour l'honneur de Dieu, dont nous aimons à montrer la bonté suprême et l'honneur que chacun de nous lui doit.

 

Car il y a effectivement des différences profondes entre nous et les bêtes, et sous certains rapports il n'y a plus rien de commun entre elles et nous.

Et quelles sont ces choses ?

La piété et la vertu. Ne m'objectez pas ici les gens de mauvaise vie, les voleurs et les assassins, car ce n'est pas d'eux que je parle.

Quels privilèges avons-nous encore ? La connaissance de Dieu et de sa providence, la raison chrétienne qui nous découvre l'immortalité.

Ici la bête est vaincue, puisqu'elle n'a pas même le soupçon de ces vérités gui nous consolent. Ici, entre l'animal et nous, rien de commun ; inférieurs sur tous les autres points signalés, nous avons en ceux-ci la domination et le triomphe ; c'est même un trait caractéristique de notre grandeur, que, vaincus par la bête d'autre part, nous pouvons cependant ainsi régner sur elle, dès que notre humilité, ne s'attribuant plus la cause et le mérite de quoi que ce soit, rapporte tout à Dieu, à Dieu qui nous a créés et nous a donné la raison. A la bête nous tendons des filets et des pièges, et nous savons l'y attirer et l'y prendre : tandis que nous-mêmes, sages et modérés, nous nous sauvons par l'équité, par la douceur, par le mépris de l'argent.

 

Vous, au contraire, qui comptez parmi les sottes victimes de l’orgueil et qui êtes éloigné des nobles idées que je développe, j'ai raison de dire que tantôt vous êtes le plus orgueilleux des hommes, tantôt la plus humiliée des brutes. C'est, en effet, le caractère de ce vice arrogant et audacieux de s'élever aujourd'hui sans mesure, et demain de se rabaisser d'autant plus, sans jamais garder le juste milieu. L'humilité nous égale aux anges ; un royaume lui est promis, et c'est avec Jésus-Christ qu'elle doit en partager les joies. L'homme humble, vraiment homme, peut être frappé, il ne peut succomber ; il méprise la mort, loin de l'envisager avec crainte et tremblement ; il sait borner ses désirs. Qui n'a pas l'humilité est plus méprisable que la brute ; et, si par les biens ou les ornements du corps vous l'emportez sur tous les hommes, et qu'en même temps vous soyez privés de ceux de l'âme, comment ne seriez-vous pas au-dessous de la bête ? Car, enfin, mettons en scène un pécheur de ce genre, dont la vie s'écoule à braver la saine raison, à pratiquer le vice, à chercher les plaisirs et les excès. Il n'en est pas moins vaincu par l'animal : le cheval est plus belliqueux, le sanglier plus fort, le lièvre plus agile, le paon plus beau, le cygne plus mélodieux ; l'éléphant l'emporte par la taille, l'aigle par la vue, tous les oiseaux sont plus riches.

Par quel côté dès lors méritez-vous de dominer sur les bêtes ? Par votre raison peut-être ? Mais non  A partir du moment où vous en faites un mauvais usage, vous devenez pires que les bêtes. Certes, vous êtes doués de raison, mais comme vous vivez d'une manière moins conforme à la raison que les animaux il aurait mieux valu pour vous que le Créateur ne vous l'ait pas donnée à l'origine. Il est bien plus malheureux de perdre par lâcheté un trône dont vous avez légitimement hérité, que de ne jamais en avoir hérité. Un roi inférieur à ses sujets aurait gagné à ne pas revêtir la pourpre. Telle est aussi votre histoire !

 

Comprenons donc qu'à défaut de pratiquer la vertu, nous nous ravalons au-dessous de la bête. Que tous nos soins se portent donc à la pratiquer, et nous deviendrons des hommes, ou plutôt des anges, et nous jouirons des biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire et puissance, avec le Père et le Saint Esprit maintenant et toujours est dans mes siècles des siècles. Amen.

Publié dans Cigale patristique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
O
<br /> <br /> "Vous, ce sont les vêtements, les parures qui vous embellissent. Magnifique, cela vous fait un point en commun avec vos chevaux ?"<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Ah là là ! ces Pères de l'Église quand même ! Ça c'est une phrase typ-top comme je les aime. Quoi ? Euh... non, je n'ai rien à dire de plus édifiant... ok je sors...<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Merci Olivier : votre citation m'a permis de voir que (malgré une relecture que je pensais attentive) j'avais laissé une erreur de ponctuation, que j'ai donc pu corriger... Comme quoi votre<br /> intervention n'était pas inutile.<br /> <br /> <br /> <br />