Hommes et femmes

Publié le par Albocicade

En 1915, Taous est une jeune kabyle. Orpheline, elle avait été élevée par des missionnaires protestants et était devenue chrétienne. La pression sociale aidant, elle a épousé un jeune homme qui se dit fort épris d'elle et envisage de devenir un disciple de Sidna Issa1. La noce achevée, elle découvre avec tristesse ce que sera sa nouvelle vie, dans la maison de sa belle famille. Là, dans quelques pièces sombres en enfilade vivent plusieurs ménages, avec interdiction de sortir non accompagnée.
Cette promiscuité se traduisait souvent par l'envenimement des disputes d'enfants :
"Lorsque les petits enfants se disputaient, leurs mères respectives, au lieu de les apaiser, prenaient part pour ou contre et la bagarre se transformait en altercation générale. Elle devenait même, parfois, une mêlée de furies s'arrachant mouchoirs et chevelure, car chacune avait été amenée là en dehors de sa volonté et quand on insultait leurs pères respectifs, c'était non seulement la plus sanglante des injures, mais encore la négation du seul recours !
Les hommes intervenaient alors avec brutalité pour frapper chacun sa femme et le pire était la croyance générale qu'on ne tient l'épouse que par la crainte. Chaque mari avait traîné son épouse au moins une fois par les cheveux, tout autours de la chambre, pour lui faire bien comprendre où était le gouvernement. Il avait le droit de la battre, même de la blesser, mais non de la tuer : c'était la seule réserve."2
*
*    *
Pour comprendre cette brutalité, il faut revenir au fond sociétal et juridique des populations kabyles de l'époque : l'islam, et en particulier les règles de vie tirées du Coran, dans lequel on lit :
«Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs bien. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand!» 3.
Je reconnais que certains commentateurs du Coran affirment que le terme employé par le texte pour "frapper" doit être compris comme signifiant "frapper avec une brindille". Mais outre que je ne vois pas bien ce qu'un tel geste pourrait avoir de "convainquant" (à moins que ce ne soit un avertissement avant de passer à des coups moins "affectueux") aucune des traductions que j'ai pu lire4 ne comporte cela, et (ce qui est plus important encore) cette idée ne semble pas avoir effleuré l'esprit de ces braves paysans de Kabylie.
Or, par ce verset du Coran, l'homme est institué tout à la fois plaignant, juge et bourreau : une étrange confusion des genres !
En effet, s'il a quelque motif de "craindre la désobéissance", il n'a pas à en référer à qui que ce soit : il examine lui-même sa propre plainte et décide tout seul de la validité de sa propre plainte. Cela étant fait, si la femme est alors reconnue coupable, il ne lui reste plus qu'à appliquer la Loi qu'Allah lui-même a institué dans le Coran pour ce cas là, et se faire bourreau.
*
*    *
Certains me diront peut-être que ce principe de sujétion de la femme se trouve aussi dans la Bible, et qu'à tout prendre il conviendrait de se montrer prudent avant de dénoncer chez l'autre ce qui se trouve déjà chez soi.
Là encore, je ne peux qu'être d'accord. Mais qu'en est-il vraiment ?
Je me souviens, qu'il y a quelques années, croisant le bon P. Bruno, je le trouve un peu ennuyé. Il m'explique que le dimanche suivant, il est censé prêcher sur "Ephésien 5.22-33", mais que d'ores et déjà certaines dames de la paroisse lui ont fait savoir qu'elles ne veulent pas entendre parler dêtre "soumises à leur mari". Quoique n'en laissant rien paraître, je jubile intérieurement. Et j'invite mon mon curé à passer à la maison. Là, je lui sors une Bible et l'invite à lire soigneusement le passage.
Il lit :
"Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur; car le mari est le chef de la femme, comme Christ est le chef de l'Eglise, qui est son corps, et dont il est le Sauveur. Or, de même que l'Eglise est soumise à Christ, les femmes aussi doivent l'être à leurs maris en toutes choses."
Et s'arrête là.
Je le regarde :
- Tu n'as pas fini le passage...
Il reprend alors :
"Maris, aimez vos femmes, comme Christ a aimé l'Eglise, et s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier par la parole, après l'avoir purifiée par le baptême d'eau, afin de faire paraître devant lui cette Eglise glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible. C'est ainsi que les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Celui qui aime sa femme s'aime lui-même. Car jamais personne n'a haï sa propre chair; mais il la nourrit et en prend soin, comme Christ le fait pour l'Eglise, parce que nous sommes membres de son corps. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l'Eglise. Du reste, que chacun de vous aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari."
Alors, je lui dis :
- En gros, ton sermon pourrait commencer comme cela : "Messieurs, vous êtes mal. La barre est haute, très haute..."
*
*    *
Je sais bien que les "violences conjugales" existent dramatiquement dans toutes les parties du monde, dans toutes les cultures et dans tous les milieux sociaux. Mais là, elles sont expressément prescrites par le Coran, et ensuite "codifiées" (ne pas frapper avec une arme, ne pas porter de coup au visage etc) par les autorités religieuses des différents courants de l'islam. Alors, quand on me dit que la place de la femme est comparable dans la Bible et dans la Coran (voire même "meilleure dans l'islam" !) ... j'ai quand même un doute.
 
Et les notes
1Autrement dit, de devenir chrétien, comme Taous.
2BRES DE JERSEY, Emile : "Taous de Kabylie", Librairie Protestante, Paris , 1963. P 120
3Coran 4.34.
4Par exemple, pour me borner à des traductions faites par des musulmans :
Hamibdullah, 1977 : Les hommes sont des directeurs pour les femmes, à cause de l'excellence qu'entre eux Dieu accorde aux uns sur les autres, ainsi que par la dépense qu'ils font de leurs biens. Les femmes de bien sont celles qui sont de dévotion,qui protègent, même dans le secret ce que Dieu a protégé. Et quant à celles dont vous craignez l'infidélité, exhortes-les, abandonnez-les dans leur lit, et battez-les. Si elles viennent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles. Dieu demeure haut, grand, vraiment !
Penot : Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu a accordé aux uns sur les autres et en vertu des dépenses qu'ils font [pour assurer leur subsistance]. Les femmes pieuses sont celles qui ont de la retenue et savent préserver ce que leurs époux ignorent par un effet de la sollicitude divine. Quant à celles dont vous craignez les incartades, admonestez-les, faites lit à part et corrigez-les. Si elles vous obéissent [de nouveau] ne cherchez plus à leur nuire car Dieu est grand et élevé.
Yusuf Ali : Men are the protectors and maintainers of women, because Allah has given the one more (strength) than the other, and because they support them from their means. Therefore the righteous women are devoutly obedient, and guard in (the husband's) absence what Allah would have them guard. As to those women on whose part ye fear disloyalty and ill-conduct, admonish them (first), (next), refuse to share their beds, (and last) beat them (lightly). But if they return to obedience, seek not against them Means (of annoyance): for Allah is Most High. Great (above you all).
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article