Les tout-premiers

Chacun connaît la "Deesis" (Δέησις ) cette icone représentant le Christ avec, de part et d'autre, St Jean Baptiste et Marie : le dernier prophète de l'Ancienne Alliance et la première croyante de la Nouvelle intercédant auprès du Sauveur.

Jean-Baptiste, tout comme Marie sont Juifs. Comme aussi, plus tard, les Apôtres : Juifs, tous Juifs.

Et l'on peut se poser la question de savoir qui furent les premiers non-juifs à croire au Christ.

On pensera, bien sûr, à Cornelius, ce romain, officier de la cohorte Italique stationné à Césarée de Palestine, qui envoya chercher Pierre à Joppé et qui reçut le baptême des mains de l'Apôtre¹. J'ai souvent lu que ce moment fut "l'entrée des païens dans l'Eglise".

Mais on peut remonter plus haut : n'est-il pas question, dans les Evangiles d'un autre officier romain qui envoie chercher Jésus-le-guérisseur pour que son serviteur soit guéri ?² Certes, sa foi est sans doute quelque peu brouillonne, mais celle des Apôtres à ce moment-là est-elle plus fermement explicite ?

N'y a-t-il rien d'autre ? Ne voit-on pas Jésus quitter les limites des terres du strict judaïsme pour cheminer en Samarie ? Assurément ! Oh, bien sûr, les samaritains sont "presque des Juifs", mais le fait est qu'ils ne participent pas au judaïsme du Temple de Jérusalem, et l'antagonisme entre les deux groupes est suffisamment marqué pour considérer que ceux qui crurent ce jour là, outre la femme rencontré au Puits de Jacob³ ne sauraient simplement être considérer comme Juifs⁴. D'ailleurs ce fut là leur drame, plus tard : les musulmans, convaincus (en se basant sur un passage du Coran) que les Samaritains avaient poussé le peuple juif à adorer le veau d'or, les considérèrent comme des païens, leur refusant le "statut " de dhimmi accordé aux "Gens du Livre" : il n'eurent pour choix que de se convertir à l'islam ou de mourir.⁵

Est-ce tout ? Non, Jésus va même sur les terres des païens, en Syro-Phénicie : l'évangile nous relate l'épisode où une païenne le suplie de guérir sa fille.⁶

Là, nous sommes sans doute au bout.

Mais en fait non.

Avant tout cela, Jésus est allé en Egypte, longuement. Bon, il était bébé, mais cela n'empêche pas les chrétiens d'Egypte de s'en souvenir : selon les traditions locales, la Sainte Famille s’est déplacée dans le pays en accomplissant des miracles qui sont à l’origine de nombreux sanctuaires encore bien vivants.⁷ Et il a même récemment été proposé que la fête de l'Entrée du Christ en Egypte,⁸ le 24 du mois de Pashons, devienne une fête nationale chômée !

Bon, ce coup-ci, on ne peut pas remonter plus haut ! Quoique...

En l'an 2000, l'Eglise nestorienne en Iraq a célébré avec faste les deux mille ans de présence chrétienne sur ses terres⁹.

Deux mille ans de présence chrétienne ? Comment est-ce possible alors que le Christ a subi la crucifixion non pas en l'an 0, mais en 33. Peut-on imaginer une présence chrétienne avant la résurrection ?

En fait, oui.

Souvenons-nous de ces "mages", c'est à dire des prêtres zoroastriens de Perse, venus adorer le nouveau roi des Juifs. Les présents qu'ils offrent conviennent à un roi (or) certes mortel (myrrhe) mais aussi divin (encens).

Alors oui, les tout-premiers païens à reconnaître en Jésus l'Homme-Dieu étaient sans doute ces étrangers, qui ne sont plus guère pour nous que des figurines dans nos crèches.

Pour nous, certes, mais il n'y a pas que des occidentaux dans l'Eglise !

Notes, références, compléments etc.

1 Actes des Apôtres chap 10

2 Matthieu 8.5-13

3Jean 4.1-42

4Ne voit-on pas de bons Juifs traiter Jésus de Samaritain et de démoniaque ? Jean 8.48

5Coran 20.85 et suivants. Il ne restait à la fin du XIX° siècle que moins de 150 Samaritains vivants !

6Marc 7.24-31

7On trouvera un écho de ces "miracles" dans l'Evangile arabe de l'Enfance, un texte que j'avais étudié il y a bien des années. Bien sûr, ce texte n'a rien d'historique, et moins encore de canonique, mais il témoigne de la piété des chrétiens du lieu : l'Egypte n'est pas seulement "le pays de servitude" que le Peuple doit quitter sous la guidée de Moïse, c'est aussi le pays qui a accueilli le Fils de Dieu lorsqu'Hérode voulait le faire mourir...

8Une petite présentation de cette fête ici... désolé pour la qualité médiocre de la traduction.

9Mme Briquel-Chatonnet évoque ces célébrations, auxquelles elle a pu assister à Séleucie-Ctésiphon, à la fin de l'émission "Chrétiens d'Orient" du 17 janvier dernier, consacrée à Mar Timothée I de Bagdad.