Lectures nocturnes

Publié le par Albocicade

L'autre nuit, passant de trop longues heures dans la salle d'attente d'un hôpital de ma région, je tentais de combler la désolante attente par quelque lecture de qualité. J'avais donc pris avec moi un petit livret d'une centaine de pages qu'une amie m'avait prêté peu avant, opuscule intitulé "Rôle des images et vénération des icônes dans les Églises orthodoxes orientales".

Dans ce recueil d'étude sur la pratique des églises "pré-chalcédoniennes" (jacobite, copte, arménienne, éthiopienne), je croise de nombreuses références à des auteurs trop peu connus, jamais traduits, inaccessibles. Mais aussi – parfois – une note indique une édition, une traduction.

Et ça, ça me donne toujours envie d'aller voir plus loin.

Alors, pour le plaisir, je suis allé récupérer les chapitres 20 et 21 du traité "Le Remède de l'intelligence dans la science des fondements" que Abu l-Hayr Ibn al-Tayyib, qui était tout à la fois médecin et prêtre copte rédigea au XIII° siècle, dans la traduction que Zanetti en a donné1.

Et du coup, l'icône qui illustre ce billet est, bien sûr copte : la visite de St Antoine le grand à l'ermite St Paul.

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CHAP. 20. Où il est question de la fabrication des icônes2 dans les églises des chrétiens

Quant à la fabrication des icônes dans les églises de ceux qui croient en Christ, elle relève de deux arguments. Le premier, c'est de suivre l'exemple [de ce qui s'est passé au temps] de l'ordre donné par Dieu à Moïse, quand celui-ci construisit l'arche d'Alliance , car Il dit a Moïse :
"Fais l'image de deux chérubins en or, pour qu'ils couvrent le propitiatoire de leurs ailes". Et Moïse fit dans la Coupole l'image de deux anges,comme le dit l'Ecriture, pour protéger les enfants d’Israël contre l'attrait des dieux des peuples étrangers, [cause de la] satisfaction [que leur causait] la représentation des images des dieux dans les maisons où ils adoraient.

Et quand furent construites les églises des croyants et que les rois versèrent le sang des martyrs et des justes qui croyaient au Christ, qui s'étaient convertis du culte des idoles au culte de Dieu (qu'll soit exalté), les Pères, docteurs de la fois, dirent: "Il n'y a pas de différend sur le point de savoir que les églises des croyants sont des maisons de Dieu, et il est normal qu'il y ait dans la maison de Dieu des serviteurs de Dieu; ceux-ci sont les anges, les saints, les justes et les hommes droits qui chantent sa louange et sanctifient sa majesté. Il convient donc de faire pour la maison de Dieu les représentations des chérubins qui sont ses envoyés, et de ses serviteurs, les hommes droits. On fit donc dans les églises des icônes selon cette manière d'agir, pour s'accommoder aux coutumes des gentils .
Telle est la raison en rapport avec le premier but [poursuivi].


Quant au bien qui en découle et à la grâce qui s'y attache, c'est d'instruire ceux qui manquent d'instruction, comme les femmes, les enfants et ceux qui ne savent pas lire, et d'entraîner les chrétiens en les amenant à livrer toute leur vie à l'amour de Dieu (qu'll soit exalté !). En effet, lorsqu'ils entrent dans une église et voient des icônes étranges et ces figures étonnantes, les différences dans la représentation de la physionomie, de la composition et des proportions, cela doit à coup sûr les inviter au désir de s'informer à propos de ces représentations. Interrogé, [le chrétien] répondra donc a celui qui le questionne: "Cela, c'est la figure du martyr untel, qui a fait telle et telle chose, qui a subi la torture de tel et tel instrument, et qui a enduré tel et tel tourment : Dieu l'a récompensé en lui accordant tel et tel bien". Cela les invitera à rester fermes dans leur foi et à être prêts au sacrifice de leur vie si on cherche à les faire changer de religion.

Au nombre des choses qui contribuent à ancrer cela dans leur coeur figurent les signes que Dieu montre aux croyants suite à l'intercession de ceux qui sont représentés sur ces icônes, au point d'amener Dieu, dans sa miséricorde, sa bonté, sa pitié et sa bienveillance, à manifester ces signes
par l'intermédiaire de ces figures [elles-mêmes] aux [fidèles] qui recourent à ceux qu'elles représentent - chose bien connue dans leurs églises -, par miséricorde envers ses serviteurs et en signe [d'approbation] envers la commémoraison des martyrs qui ont donné leur vie par amour
pour Lui.

CHAP. 21 . LA CROIX

Quant à l'honneur rendu à la représentation de la croix, c'est parce qu'il s'agit de l’instrument sur lequel le Christ a été crucifié, et que par Sa crucifixion a eu lieu le salut du monde - les morts [ont été sauvés] de l'enfer et les vivants [l'ont été] de l'action des corrupteurs -; les armées des démons ont été mises en déroute, la démesure des coutumes et des impuretés de ce culte [démoniaque] a été extirpée , [les hommes] se sont attachés à Dieu tout-puissant et à Lui seul, la résurrection des morts a été réalisée, le Royaume des cieux est apparu, pour toujours les justes sont au ciel et les méchants en enfer. [En effet, par la croix, il a rendu certaines aux yeux de tous sa mort et sa résurrection, vivant, de la mort, et il a rendu certaine la résurrection des morts que l'esprit humain rejetait. Et s'il
était mort à la maison, comme tous les êtres humains, sa mort n'aurait pas été certaine pour tous; et le voyant vivant tel qu'Il était, [sa] résurrection des morts aurait été contestée].

Et n'est-il pas étrange [de contester la vénération de la croix, alors que] nous recevons continuellement la bénédiction des reliques de nos seigneurs les saints après leur mort que cette relique soit un vêtement, un turban, un livre, un encrier, une plume, ou l'un quelconque parmi tous les instruments qu'il aimait et employait; nous baisons cette relique de notre bouche, nous l'élevons au-dessus de notre tête. Et nous ne bornons pas notre vénération aux [objets] qu'il a utilisés pendant sa vie mais, après sa mort, nous recevons la bénédiction de sa cellule et des instruments qui s'y trouvent, du lieu où il est enterré et de la poussière de sa tombe, nous y frottons le visage et nous essuyons nos mains sur les autres [fidèles présents] pour recevoir la bénédiction de ces reliques ; cela tu le sauras à coup sûr de ta visite aux lieux [où se trouvent] les martyrs et les saints, et
de la bénédiction [reçue] des reliques des bienheureux.

S'il en est bien ainsi, comment donc ne faudrait-il pas, à plus forte raison, vénérer l'instrument sur lequel fut crucifié le Christ, par lequel eut lieu le salut de [tout] ce qui existe, et que Dieu a distingué de tous les autres instruments en manifestant des signes et en ressuscitant les morts, d’après ce qui est relaté dans les histoires et connu partout.

Lorsqu'on l'a compris, il devient tout à fait manifeste que nous ne baisons pas l'instrument pour lui-même, et pas non plus parce qu'il serait fait d'une matière qu'il convient de vénérer pour elle-même, mais parce qu'il est l'instrument sur lequel a été crucifié le Christ, le Sauveur du monde, et que ses saints disciples nous ont ordonné de soumettre par elle les forces du mal et d'attaquer par elle les démons, et d'en recevoir la bénédiction jusqu'au Jour du Jugement.

 

Les notes :

1Abu l-Hayr Ibn al-Tayyib, sur les icônes et la croix / Ugo Zanetti. — Extrait de : Parole de l'Orient : revue semestrielle des études syriaques et arabes chrétiennes : recherches orientales : revue d'études et de recherches sur les églises de langue syriaque. — vol. 28 (2003), pp. 667-701.

2Il faut, dans cette traduction, prendre le terme "icône" en un sens large, le mot arabe "sura" (صورة) signifiant "image" et désignant aussi bien des fresques et des icônes – voire même d'autres types de représentations. Le terme arabe précis pour icône est "ayquna" (أيقونة)

Publié dans Arabe syriaque etc, icones

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