Pourquoi le dimanche ?

Publié le par Albocicade

Il y a quelques jours, je reçois d'une jeune femme, une protestante évangélique amie de ma fille, la question suivante :

"Pourquoi faisons nous le culte le dimanche et pas le samedi ?

Le samedi n'est-il pas la fin de le semaine ? Le sabbat, qui est donc le jour de repos, n'est-il pas du vendredi soir au samedi soir ?"

De fait, ce n'est pas la première fois que je croise cette interrogation – souvent dans les milieux évangéliques, d'ailleurs – et je me suis dit que cela pourrait ne pas être totalement inutile de partager la réponse que je lui ai faite, en tenant compte de son arrière plan confessionnel.

 

Ta question porte sur la célébration le dimanche et non le samedi.

Je vois, en arrière plan de cette question "Pourquoi les chrétiens ne respectent plus le shabbat qui a pourtant été promulgué par Dieu ?" avec peut-être même une forme de crainte d'être dans la désobéissance vis à vis de Dieu.

Aussi, avant de répondre précisément au point soulevé, il faut (je pense) revenir sur cette question des règles et des loi données par Dieu.

L'Ancien Testament regorge de règles, lois et commandements (les rabbins en ont relevé 613, dont 365 sont des injonctions, et les autres des interdictions) et on pourrait supposer qu'elles ont une valeur éternelle. Pourtant, à y regarder de plus près, on serait bien en peine si l'on voulait toutes les mettre en pratique, malgré l'éloge qu'en fait le psaume 119.

Pour être bien clair, je vais prendre un exemple, dans le livre de l'Exode 21.7-8

"Si un homme vend sa fille comme esclave, elle ne sortira pas libre comme le font les esclaves de sexe masculin. Si elle déplaît à son maître alors qu’il avait pensé la prendre pour femme, celui-ci facilitera son rachat ; mais il n’aura pas le droit de la vendre à des étrangers, ce serait la trahir."

Tu as bien lu. Dans cette loi qui s'adresse à des croyants de l'ancienne Alliance, il est clairement envisagé qu'un père puisse de vendre sa fille comme esclave, et cela ne choque pas le législateur, Juste, il ne faut pas la vendre à des non-israélites. Tu comprendras que, à l'évidence, ce commandement est obsolète, et que ce qui l'a rendu obsolète, ce n'est pas un commandement de Dieu qui l'aurait explicitement annulé par la suite, mais les circonstances, l'évolution des sociétés, et ce que l'on appelle la progression du "dessein de Dieu" qui doit amener l'humain (et la création avec lui) de son état de déchéance à un état de restauration, par le salut.

Bon, nous sommes d'accord qu'il n'y a pas que des règles comme celle-là, mais celle-ci a l'avantage de bien nous montrer que les Lois divines étaient données dans des contextes précis, pour des contextes précis, et ne sauraient nécessairement être considérées comme immuables, sauf à risquer des contre-sens.

 

Venons-en maintenant au shabbat et au dimanche.

Nous sommes d'accord que dans l'Ancien Testament (et par conséquent, dans le judaïsme) le shabbat est fort important. Ceci étant, il n'est pas plus important que les grandes fêtes - Pessah (Paques), Shavouot (Pentecôte), Rosh-Hashanna (nouvel an, en septembre), Souccoth (la fête des Tentes), Kippour (fête du Pardon), sans parler du Jeûne de Gdaliah...

Or, aucune de ces fêtes n'a été conservée dans l'Eglise. Tu m'objecteras, sans aucun doute, que certaines de ces fêtes ont, au contraire été conservées par les chrétiens. Mais ce n'est qu'une apparence : à Pâques, on ne fête pas la sortie d'Egypte du peuple hébreu (et aucune église ne suit le rituel du Séder), et à Pentecôte, nul ne se soucie de moissons...

Non, les fêtes des chrétiens sont toutes – absolument toutes – centrées sur le salut apporté par Jésus-Christ. Je ne te ferais pas l'historique du développement des fêtes dans l'Eglise, mais toutes convergent sur Jésus, Messie annoncé par les prophètes de l'Ancienne Alliance, né comme "Fils de Dieu", qui a parlé comme nul homme, fait des prodiges divins, a été condamné à mort et crucifié, puis est ressuscité d'entre les morts.

Les textes de l'Ancien Testament sont alors lus dans cette optique, comme annonce de Celui qui devait venir (l'apôtre Paul le fait abondamment dans ses lettres, et les auteurs chrétiens qui suivent aussi).

Aussi, si dans le cadre du judéo-christianisme, les premiers chrétiens participaient aux cérémonies du Temple (l'exemple le plus célèbre est celui du juste Jacques, celui de l'épître de Jacques) et se joignaient aux assemblées du shabbat à la "synagogue" (souvent pour témoigner que le Messie promis par Dieu et attendu par le peuple juif était enfin venu, et que c'est Jésus), ils avaient aussi leurs rencontres à eux, ce dont le Livre des Actes témoigne (Act 2.42, par exemple) et notamment le dimanche (premier jour de la semaine) comme on le voit en Actes 20. 7 et suivants.

Par ailleurs, on voit apparaître un nouveau sens à une expression ancienne : le "jour du Seigneur", qui désignait dans le judaïsme un jour à venir de la révélation (et éventuellement du jugement) de Dieu, prend un sens typiquement chrétien : la révélation de Dieu a eu lieu, et le "jour du Seigneur" est en réalité le "jour de la résurrection du Seigneur"... donc le dimanche (le premier jour de la semaine...) De sorte que autours de l'an 110, un auteur de fort bonne réputation écrit :

"Nous ne pratiquons plus le shabbat, mais nous vivons selon le jour du seigneur dans lequel aussi notre vie s’est levée" (Ignace d'Antioche, Ép. aux Magnésiens 9.1). Et cette lettre d'Ignace n'est pas le seul écrit de cette période qui atteste de cet usage, de sorte qu'en grec, dimanche se dit "kyriaké" (Κυριακή)... c'est à dire "[le jour] du Seigneur", et en russe "Voskressénié" (Воскресенье), c'est à dire "[jour] de la résurrection" ! Il n'est même pas impossible que les visions de l'Apocalypse aient été reçues un dimanche... (Apoc 1.10)

 

Donc oui, l'Eglise se réunit le dimanche (que l'on appelait le "jour du soleil" dans l'empire romain... ce qui a donné le fameux "Sun-day" anglais), et c'est parfaitement légitime au regard du fait que Dieu est venu en Christ, événement plus important encore que la traversée de la Mer rouge...

Je termine par une petite citation de St Justin martyr, extraite de l'Apologie qu'il a envoyée à l'empereur Antonin (Première Apologie § 67), alors que les chrétiens étaient persécutés par l'Empire

"Le jour du soleil, comme on l'appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour exhorter à l'imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions; et, comme nous l'avons dit, la prière terminée, on apporte du pain, du vin et de l'eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple répond: Amen, et la distribution et la communion générale des choses consacrées se fait à toute l'assistance; la part des absents leur est portée par les diacres."

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Par ailleurs, je profite de l'occasion pour signaler un article qui, quoique ancien, touche de très près à notre situation actuelle, avec la pandémie du Covid19.

Il s'agit de l'article 

La maladie, la peur ou la raison

de Mme Congourdeau,

Une étude daté de 1993, en pleine période du SIDA, qui pose un regard sur la manière dont les pandémies et maladies infamantes (peste, lèpre) étaient perçues dans la Byzance chrétienne...

Cet article est disponible sur Academia.

Mme Congourdeau me signale par ailleurs "Dans un recueil de mes articles (en préparation), il y a "La société byzantine face aux grandes pandémies", "Anastase le Sinaïte, médecin, moine et didascale" et quelques articles sur la Peste. Vient de paraître dans un bulletin espagnol "Les chrétiens de Byzance au défi de la peste noire" , et je prépare un article autour du thème "Les pandémies sont-elles envoyées par Dieu?". J'avais quitté ce champ de recherche depuis des années, il m'a rattrapée"

 

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