Prénom et intégration

Publié le par Albocicade

 

Le dialogue est surréaliste. Je ne sais guère qui est "Eric Zemmour", et moins encore "Hapsatou Sy", mais peu importe : leur échange  - que j'ai découvert via Facebook je crois – me laisse pensif.

 

Lui : Chez moi, depuis une loi de Bonaparte on doit donner des prénoms dans ce qu'on appelle le calendrier, c'est à dire les saint chrétiens.

Elle : Moi, je m'appelle Hapsatou...

Lui : Hé ben, votre mère a eu tort !

Elle : Ma mère a eu tort ? Et vous voudriez que je m'appelle comment ?

Lui : Corinne, ça vous irait très bien...

 

Son idée, à lui, c'est que pour s'intégrer, il faut donner à ses enfants des prénoms "bien de chez nous", il précise même, des prénoms chrétiens.

Son idée à elle, c'est qu'avoir un prénom exogène n'est en rien refuser d'être française.

Soit.

Pourtant, il y a dans le propos de Zemmour plus d'un point qui me semblent inconsistant.

 

1. A commencer par sa proposition de prénom. Je suis allé jeter un oeil à la table alphabétique que donnent les "Petits Bollandistes" (tome 17) [1]: ce ne sont pas les prénoms qui manquent dans le martyrologe, mais de "Corinne", point. Mauvaise pioche, donc.

Par ailleurs, ignore-t-il que les listes de saints évoluent au fil des conversions, des vies édifiantes et des martyres ? Que penserait-il de parents qui appellent leur enfant Ahmed ? Pourtant, il y a bien un St Ahmed le calligraphe, martyr[2]...

 

2. Ensuite... Je lis en ce moment le Livre d'Esther. Je ne sais pas si ce Livre biblique – dont l'action se situe durant l'Exil, à la cour de Perse – vous est familier, mais on y voit un double exemple d'intégration par le prénom... Il y est en effet question de Hadassa et de son oncle Mardoché.

Hadassa est un prénom hébreu, signifiant "Myrte". Je sais, sur le moment, ça surprend, mais en fait, ça correspond à des prénoms comme "Marguerite", "Rose" ou encore "Eglantine". Pourtant, dans un soucis d'intégration, elle prend le prénom d'Esther. Il vaut la peine de s'y arrêter : Esther n'est pas un prénom anodin, comme peut l'être Hadassa, mais un vrai prénom chargé de sens : c'est le nom de l'idole "Astarté", un prénom normalement importable pour des juifs pieux. Un peu comme si un famille musulmane habitant en "France chrétienne" appelait ses enfant "Christian" et "Marie-Trinité" par soucis d'intégration. Ou que des catholiques habitant en inde appelaient leur fils Shiva.

De même, le brave "Morderhaï" (Mardochée) tient son nom de l'idole babylonienne Mardouk. Bref, un "bel exemple" d'intégration par le prénom de ces populations juives déportées quelques générations plus tôt par Nabuchodonosor.

Pourtant, une telle intégration ne les protégea pas de la rage du Vizir Haman, qui tint au roi Assuérus les propos suivants :

Il y a dans toutes les provinces de ton royaume un peuple dispersé et à part parmi les peuples, ayant des lois différentes de celles de tous les peuples et n'observant point les lois du roi. Il n'est pas dans l'intérêt du roi de le laisser en repos. Si le roi le trouve bon, qu'on écrive l'ordre de les faire périr.

En clair : ces gens là ne seront jamais "vraiment" intégrables, il vaut mieux les génocider, idée que le roi approuva (Je vous laisse lire le récit en entier...).

Ainsi, une volonté d'intégration aussi poussée que celle montrée par Esther et Mardochée ne protège pas nécessairement contre la haine.

 

3. Par ailleurs, il m'est arrivé de rencontrer, il y a quelques années, un homme venant d'un pays éloigné où il était en butte aux tracasseries policières – avec emprisonnement – pour ses convictions religieuse. Ayant obtenu asile en France, il prit la nationalité française et choisit un prénom bien de chez nous, et même un prénom chrétien. Pourtant, ses convictions religieuses n'ont pas faibli : lorsque je l'ai rencontré, il m'a cordialement invité à devenir musulman, puisque "l'islam est l'avenir de la France, l'avenir de l'Europe"... enfin, selon lui. D'ailleurs, ce brave campagnard accueille avec bienveillances des jeunes "en recherche" qu'il enseigne dans le "véritable islam".[3] Curieusement, plusieurs des jeunes qui sont passés par chez lui se sont trouvés mêlés aux attentats islamistes en France, ces dernières années.

Comme quoi, le fait de prendre un prénom "bien de chez nous" ne signifie pas en soi une volonté de s'intégrer, mais peut aussi être un moyen de se fondre dans la masse.

 

4. Enfin, ce monsieur Zemmour, qui semble porter si haut l'idée de France a semble-t-il oublié un point qui a fait le charme et la renommée de notre pays : je veux parler de la courtoisie, voire de la galanterie. Car enfin, c'est se comporter comme un mufle accompli que de dire à une jeune femme que sa mère a eu tort de la nommer comme elle l'a fait.

Et puisqu'il est d'ascendance juive, j'aurais aimé lui rappeler une des grandes règles du judaïsme concernant un péché grave : le "lachone hara", la mauvaise parole. Parmi les choses détestables, il  y celle-ci : faire honte à une femme en public. Or, lorsqu'il lance à la chroniqueuse[4] que son prénom est "une insulte à la France", il dépasse les bornes de goujaterie et se montre un rustre achevé : pas de quoi pavoiser.[5]

 

Les notes, comme d'hab.

 [1] J'avais donné les liens vers tous les volumes des Petits Bollandistes (en, français, donc) : ils sont toujours accessibles.

[2] Bon, il n'est pas connu des Bollandistes, trop oriental et trop récent, mais je vous en avais parlé, une fois

[3] En effet, son pays d'origine est un pays musulman, mais pas assez, selon lui, et surtout, pas avec le "bon islam".

[4] dans une partie qui a été coupée au montage, mais que la chroniqueuse a mis en ligne.

[5] Pavoiser, au sens, bien sûr, de hisser le drapeau de la nation.

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