Au dieu inconnu

Publié le par Albocicade

Nous connaissons tous ce passage des Actes des Apôtres où l'on voit Paul, à Athènes, prendre prétexte d'un autel dédié "A un dieu inconnu" pour annoncer le Christ ressuscité à une assemblée de sceptiques.
Tombant par hasard sur une sorte de squelette d'article dans la wikipedia curieusement intitulé "Agnostos Theos", j'ai voulu l'étoffer un peu et, grâce au travail considérable de feu Philippe Remacle, je crois y être parvenu. Je vous livre  donc la substance de cette petite recherche.
Bonne promenade...
 
Selon diverses sources antiques, il y avait à Athènes, soit un temple, soit au moins des autels votifs dédiés spécialement à "un dieu inconnu".
Ainsi lit-on dans la Vie d'Apollonius par Philostrate 1 :
Détester une divinité quelconque, comme Hippolyte détestait Vénus, ce n'est pas là ce que j'appelle de la sagesse ; il est plus sage de respecter tous les dieux, et surtout à Athènes, où il y a des autels élevés même aux dieux inconnus.
De même, Pausanias, dans sa "Description de la Grèce" 2 note :
Les Athéniens ont à Munychie un autre port et un temple de Diane (Artémis) Munychia ; et à Phalère, comme je l'ai déjà dit, un troisième port, avec un temple de Cérès (Déméter) auprès. On y voit aussi un temple de Minerve (Athéna) Sciras; un peu plus loin, un temple de Jupiter (Zeus), et des autels érigés aux dieux inconnus, aux héros, aux fils de Thésée et à Phalérus, qui fit avec Jason le voyage de Colchos, disent les Athéniens. Androgée, fils de Minos, y a pareillement un autel qu'on nomme l'autel du héros, mais ceux qui cherchent à connaître mieux que les autres, les antiquités du pays, savent qu'il est dédié à Androgée.
Le satiriste Lucien, dans son "Philopatris" 3 fait jurer Critias "Par le dieu inconnu qu'on adore à Athènes".
Selon le récit de Diogène Laërce 4 C'est à Épiménide que l'on accorde la création de cet autel "au dieu inconnu" :
Les Athéniens, affligés de la peste, ayant reçu de l'oracle de Delphes l'ordre de purifier leur ville, envoyèrent un vaisseau en Crète, sous la conduite de Nicias, fils de Nicératus, pour en ramener Épiménide. Il s'embarqua dans la quarante-sixième olympiade, purifia la ville et fit cesser le fléau. Voici de quelle manière il s'y prit : Il choisit des brebis blanches et des brebis noires qu'il conduisit à l'Aréopage ; de là il les laissa aller à leur gré, en ordonnant à ceux qui les suivaient de les sacrifier aux divinités des lieux où elles s'arrêteraient. Ainsi cessa la peste. Aujourd'hui encore on rencontre, dans les différents dèmes de l'Attique, des autels sans nom élevés en mémoire de cette expiation.

Mais, venons-en à l'épisode de Paul.

Le livre des Actes des Apôtres rapporte que lorsque l'apôtre Paul visita Athènes, il vit un autel dédié "Au Dieu inconnu" et qu'il en fit le thème d'un discours sur l'Aréopage :
22Debout au milieu de l'Aréopage, Paul dit alors : "Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. 23Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription : "Au dieu inconnu". Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer. 24Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme. 25Il n'est pas non plus servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses. 26Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre; s'il a fixé des temps déterminés et les limites de l'habitat des hommes, 27c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous. 28C'est en elle en effet que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ainsi d'ailleurs l'ont dit certains des vôtres : 'Car nous sommes aussi de sa race'. 29Que si nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, de l'argent ou de la pierre, travaillés par l'art et le génie de l'homme. 30Or voici que, fermant les yeux sur les temps de l'ignorance, Dieu fait maintenant savoir aux hommes d'avoir tous et partout à se repentir, 31parce qu'il a fixé un jour pour juger l'univers avec justice, par un homme qu'il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts." — (Livre des Actes des Apôtres 17.22-31)
Que l'apôtre Paul ait ou non connu la légende qui attribue à Epiménide la fondation de cet autel ne ressort pas de ce texte. Néanmoins, ses auditeurs lettrés auront reconnu dans la phrase "En lui nous avons la vie, le mouvement et l'être" un vers d'Epiménide 5, et dans "Car nous sommes aussi de sa race" une citation d'Aratus 6.
Par ailleurs, en une autre occasion (Épître à Tite 1:12), il cite le "paradoxe d'Épiménide", l'attribuant au "prophète des Crétois" .
Explications postérieures
St Jérôme 7, affirme que cet autel ne portait pas "Au dieu inconnu", mais "Aux dieux de l'Asie,de l’Europe et de l’Afrique ; aux dieux inconnus et étrangers" et que l'Apotre changea volontairement le pluriel en singulier afin que de montrer aux Athéniens qu'ils adoraient un dieu inconnu. Toutefois, on notera que Lucien parle précisément d'un dieu inconnu, au singulier, et que les textes de Pausanias et Philostrate n'impliquent pas qu'il y ait eu plusieurs autels dédiés chacun "à des dieux inconnus", mais qu'il y avait plusieurs autels, qui pouvaient tout à fait être chacun dédié "à un dieu inconnu", sans que cela désigne forcément "un seul" dieu.
Théophylacte raconte d'une autre manière l'occasion de cet autel. Après une bataille que les Athéniens avaient perdue , un spectre leur apparut, et leur dit que c'était lui qui était cause du malheur qui leur était arrivé, et que c'était en haine de ce que, célébrant des jeux en l'honneur de tous les autres dieux , ils n'en faisaient point en son honneur : après cela il disparut sans dire son nom. Les Athéniens, pour réparer leur faute, érigèrent aussitôt un autel au dieu inconnu.8
Enfin, Pierre Comestor, faisant dans son Histoire scolastique un lien avec la Lettre A Polycarpe9 de Denys l'Aréopagite, raconte que ce dernier séjournant à Alexandrie remarqua l'éclipse de soleil qui arriva contre nature à la mort du Sauveur, en conclut que quelque dieu inconnu souffrait; et n'en pouvant alors savoir davantage, érigea, à son retour à Athènes l'autel au Dieu inconnu , qui donna occasion à saint Paul de faire à l'Aréopage le discours que rapportent les Actes des Apôtres.

La question de la dédicace

On aura noté que le récit de Diogène Laerce parle d'autels "sans nom" alors que, selon le récit des Actes des Apôtres on s'attendrait à ce que ces autels portent en dédicace "à un dieu inconnu". Toutefois le discours de l'Apôtre peut tout à fait désigner un autel (tel que l'on en a retrouvé à Rome) portant une dédicace, mais sans mentionner le nom de la divinité à laquelle l'autel est dédié, le dieu anonyme alors vénéré restant "inconnu".

L'explication de St Jérôme, plausible en ce qui concerne l'éventualité de l'existence de tels autels, peut sembler en accord avec les textes de Pausanias et Philostrate. Ces textes cependant n'impliquent pas qu'il y ait eu plusieurs autels dédiés chacun "à des dieux inconnus", mais qu'il y avait plusieurs autels, qui pouvaient tout à fait être chacun dédié à un dieu "inconnu" ou anonyme, sans d'ailleurs que tous désignent forcément le même dieu. Enfin, on notera que Lucien parle précisément d'un dieu inconnu, au singulier.

Notes
  1. Lucien de Samosate  : Philopatris
  2. Diogène de Laerte : "Vies et doctrines des philosophes de l'Antiquité, Livre I, chap 10 
  3. Phoenomena V.5
  4. Sur l'Epître à Tite
  5. On y verra sans peine une adaptation du passage de l'"Histoire" d'Hérodote (Histoire, Livre VI.105) dans lequel il rapporte que les Athéniens ayant envoyé Philippidès comme courrier à Sparte l'entendirent à son retour dire qu'il avait été interpellé par le dieu Pan qui lui demanda pourquoi les Athéniens ne lui rendaient aucun culte. Suite à ce rapport, les Athéniens consacrèrent un lieu à Pan.
  6. Lettre à Polycarpe, ou "lettre 7" : Lire en ligne
Notons que l'autel romain, en haut de ce billet, est dédié à une divinité qui n'est pas nommée... à une sorte de "dieu inconnu".
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