A en perdre la tête.
Je travaille actuellement sur le récit de la mort de St Jean Baptiste dans l'évangile de St Matthieu (chap 14, donc).
Tout le monde connaît cette histoire où le prophète vitupérant ayant pris directement à partie le gouverneur Hérode Antipas, s'est retrouvé enfermé à Machéronte pour un temps indéterminé
Tout le monde connaît surtout la suite.
L'anniversaire d'Hérode, la danse de la fille de sa femme, la promesse irréfléchie… et la mise à mort du prophète importun.
La fille de sa femme…
Flavius Josèphe nous indique qu'effectivement Hérodiade avait eu une fille de son premier mari, le frère de cet Hérode Antipas, et que cette fille s'appelle Salomée. Et comme nous ne connaissons pas d'autre fille à Hérodiade, va pour Salomé.
Depuis fort longtemps, la danse de Salomé est décrite comme lascive, elle-même étant supposée d'une beauté ensorcelante. De quoi perdre la tête.
Bien sûr.
Pourtant, quel âge pouvait-elle avoir, cette Salomé ? Autant Flavius Josèphe ne nous est d'aucune aide sur ce point, autant les évangiles sont… presque précis.
Le terme employé pour désigner "Salomé" est korasion (κοράσιον). Or korasion est une fille.
Pas une petite fille de 6 ou 7 ans, non… a priori, à cet âge là, on parle simplement d'enfant (païs, παῖς). Mais pas non plus une fille en âge d'être mariée. Celle-là, c'est une pucelle, une "vierge" (parthenos, παρθένος).
La korasion, c'est entre les deux.
Ce que confirme, dans le même évangile, l'épisode de la fille de Jaïrus, une "korasion" de 12 ans.
Bref, Salomé devait avoir 11 ou 12 ans, pas de quoi faire perdre la tête à son beau-père. Non, sans doute a-t-elle fait un "spectacle", comme les enfants de cet âge en sont coutumiers. Un petit spectacle plutôt réussi, puisqu'il plût non seulement à Hérode, mais encore à ses invités.
Et la promesse d'Hérode est, dans ce contexte, complètement compréhensible : de quoi rêve une jeune fille de cet âge ? D'un poney, d'une fête avec ses amies, voire d'une wii ou d'un compte facebook (quoique pour les deux derniers, je ne suis pas certain en ce qui concerne Salomé), mais certainement pas de faire égorger un type, fut-il un "méchant" (puisqu'il disait du mal de sa maman). Mais "bonne fille", elle obéit à l'injonction maternelle.
Pour Hérode, il y a effectivement de quoi être surpris, voire contrarié.
Quant à donner l'ordre d'exécuter Jean… mille ressorts psychologiques ont pu l'y décider, mais il en porte la responsabilité.
Car, au final, le seul qui ait perdu la tête dans cette histoire, c'est Jean Baptiste.
Et pour jeter un oeil aux textes :
La mort de Jean dans les Evangiles de Matthieu (14. 1-12), Marc (6. 14-29) et Luc (3. 18-20 et 9. 7-9) [on peut accéder au texte grec de chaque verset en cliquant sur le n° de verset] ainsi que dans les Antiquités Judaïques (livre 18,section 5) de Flavius Josèphe.
L'épisode de la fille de Jaïrus dans Matthieu (9. 18-26), Marc (5. 22-43) et Luc (8. 41-56).
Notons tout de même que le terme korasion peut aussi être employé comme un terme générique pour des filles plus grandes, comme lorsqu'on salue globalement ses collègues de travail d'un sympathique "Salut les filles !" quand bien même nombre d'entre elles sont mères de famille.