La cache

Publié le par Albocicade


En quelle année sommes nous ?

Je n'en suis plus tout à fait sûr.

Ce qui semble évident, c'est que pour des raisons de sécurité, la grande cigale doit être mise en sûreté, à l'abri.

Nous sommes en lien avec un groupe (forcément clandestin) qui va transférer quelques enfants à la montagne, sur "le Plateau".

Les informations passent au compte goutte. Nous savons à peu près où les enfants trouveront refuge… "à peu près" seulement, puisqu'en ces situations, la discrétion est une condition de la sécurité.


Vendredi, un message nous indique que le départ aura lieu demain, aux alentours de 8h 30. Le lieu et l'heure du rendez-vous, ainsi que la nouvelle identité de la Cigale nous seront communiqué ultérieurement. Puis, plus rien.

Samedi, 7 h… toujours pas de message. Et impossible de joindre les familles des autres enfants. 8 h, enfin ! le message arrive. Il semble qu'il y ait eu des problèmes de transmission : les autres ont eu l'info hier.

Tout y est. Rendez-vous est donné à 8 h 40, sur un parking à la périphérie du village, avec des consignes pour rejoindre le lieu sans attirer l'attention.

La cigale – à partir de ce moment – s'appelle "Anne-Marguerite RUEL"… un nom bien français.

Au lieu de rendez-vous, Joseph, le passeur est là. D'ailleurs, "Joseph", est-ce vraiment son nom ?

Nous laissons partir la Cig… euh, "Anne-Marguerite"… nous n'aurons plus de nouvelles pendant…

Lorsque tous les "voyageurs" sont réunis, c'est tout naturellement qu'ils se dirigent vers un hôtel à proximité. Mais au lieu de les faire entrer dans le grand salon, l'hôtelier leur ouvre la porte de sa cuisine, puis de sa réserve… qui donne sur une sombre galerie qui doit déboucher là-bas, dans les bois, près d'une première cache.

Là, Joseph remet à chacun des papiers d'identité… qu'il va falloir faire viser à la mairie du village. (J'ai depuis entendu dire que ce Joseph travaillerait dans une imprimerie… ce qui expliquerait bien des choses…)

Il faut de nouveau marcher plusieurs kilomètres, en portant sacs et valises. Les quelques villageois  que le groupe croise ne manifestent aucune hostilité… et même (mais de manière si fugace), on pourrait croire que certains regards contiennent un soutien, un encouragement.

A la mairie, le préposé ne fait aucune difficulté à tamponner les papiers des "voyageurs". Indifférence de fonctionnaire blasé ? Au moment où le groupe sort de l'hôtel de ville, on l'entend toutefois dire – distinctement, quoiqu'à voix basse – "Allez, bonne chance".


Puis, c'est la route jusqu'à la ville.

Là, l'ambiance est tout autre. Nulle bienveillance dans les regards. Au mieux, de l'indifférence, souvent du soupçon.

Et même, dans le café où le groupe s'arrête pour manger un peu (Joseph s'est débrouillé pour avoir assez de tickets de rationnement… à moins qu'il ne les ait directement imprimé ?) les propos de la tenancière contiennent des menaces à peine voilées… allusions aux "étrangers" qui se font passer pour des français… évocation de récentes arrestations…

Mais pas le temps de traîner, il y a un train à attraper

La gare est bondée, les guichets sont pris d'assauts.

"Joseph" s'inquiète : il faut coûte que coûte prendre ce train là, pour ne pas manquer – plus loin – celui qui doit les emmener sur le Plateau… Il s'approche d'un cheminot, devise longuement avec lui, puis revient vers le groupe.

Ils montent dans le train, le cheminot leur prépare les billets…

Et tout le voyage a été comme ça.


Lorsqu'elle est revenue chez nous, des mois plus tard (ou le lendemain soir, mais il y a des heures qui comptent plus que d'autres), la grande cigale avait des étoiles dans les yeux…


Publié dans Vie quotidienne

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