A la rue ?

Publié le par Albocicade

 

Dans les années 1990, j'étais de ceux (nous étions nombreux) qui mettaient en place un système d'accueil d'urgence pour les personnes qui se retrouvaient à la rue sans solution d'hébergement. Nous étions alors en contact avec les mairies, les commissariats, les bonnes volontés locales. Lorsque fut créé un Numéro d'Urgence, qui est devenu le 115, nous avons pu travailler avec les acteurs du social au niveau départemental, voire régional. L'objectif était non pas qu'il n'y ait plus personne qui dorme à la rue ou dans un squat[1], mais que ceux qui s'y trouvent puissent, s'ils le souhaitent, avoir un lieu d'accueil où ils puissent dormir, manger, se laver et être orienté vers une solution d'hébergement plus durable, jusqu'à une réinsertion sociale. Objectif bien ambitieux, certes, mais qui n'était pas nécessairement inatteignable, du moins pour certains. Deux règles présidaient à cette ambition : un accueil sans conditions[2], et la liberté de repartir pour ceux qui le souhaitaient[3].
La chose a évolué au fil des années, et j'ai des mon côté quitté le champs du Social… tout en gardant des contacts.
Et cette année, ce que j'ai appris m'a franchement déplu : les services d'Accueil d'Urgence de plusieurs département (dont celui où je suis) remettent à la rue des familles hébergées, sans la moindre solution. La seule condition, c'est que le plus jeune des enfants ait fêté son premier anniversaire. En clair, à la demande expresse du Préfet, on met à la rue, en plein hiver, des familles y compris avec des bébés, et on arrête le suivi social de ces familles ! Le contraire absolu de ce pour quoi nous avons œuvré dans les années 1990. La belle évolution.
Bien sûr, la raison évoquée est budgétaire : le 115 est saturé, il n'y a pas de place pour accueillir les personnes sans solution d'hébergement. Donc l'Etat, par la voix de ses préfets, met en place un sinistre jeu des "chaises musicales"[4]. En effet, plutôt que de mettre en œuvre des budgets à la hauteur du problème, l'Etat fait ce que par ailleurs il interdit aux autres[5] : il met les gens à la rue, en plein hiver.
Alors bien sûr, comme le disait justement le Président Macron, s'occuper des pauvres, ça coûte un pognon de dingue, et il n'y a pas d'argent magique.
Mais cette situation me rappelle une histoire similaire.
En février 1954, le Parlement a rejeté la demande faite par l'abbé Pierre d'un budget exceptionnel d'un milliard de francs pour la construction de cités d'urgence pour les  personnes sans logement. Bien sûr, un milliard de francs, c'était énorme. Il n'était pas raisonnable, pas réaliste de dépenser autant pour des pauvres ! Un milliard de francs, c'est pourtant la somme que la France a dépensée pour la guerre d'Algérie qui a commencé en novembre 1954. Mais pas un milliard pour l'ensemble de la guerre, non, c'est ce qui a été dépensé par jour[6] !  Comme quoi, quand l'Etat décide que dépenser de l'argent est nécessaire, il sait en trouver.
NB : l'affiche en illustration a été employée pour une manifestation récente, justement à ce propos.
 
Notes copieuses, abondantes et indispensables
[1] Il s'agit là d'un objectif régulièrement clamé par les candidats à la présidence de la République, mais systématiquement oublié dès l'élection passée.
[2] Les seuls cas d'exclusion que j'ai eu à mettre en pratique concernaient des personnes qui mettaient en danger  les autres accueillis, ou même la structure d'accueil.
[3] De fait, certains désiraient juste de passer une ou deux nuits au chaud, avec possibilité de se doucher, avant de retourner à leur squat.
[4] C'est d'autant plus un jeu de "chaises musicales", qu'il s'inscrit en fait dans le projet de vider la Capitale de ses SDF pour les Jeux Olympiques. Je vous en avais parlé ici, et la chose a été confirmée.
[5] Vous savez, cette "trêve hivernale" qui interdit à un propriétaire de faire expulser son locataire indélicat entre le 1er  novembre et le 31 mars.
[6] Ceci est mentionné dans l'émission de 1993 : l'abbé Pierre dans L'Heure de Vérité | Archive INA https://www.youtube.com/watch?v=KcXYhaa4Fag&t=2547s  à 2'50''
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