L'arc de St Antoine

Publié le par Albocicade

Il arrive, quand l'occasion s'en présente, que j'arpente les sables du désert d'Egypte, passant d'un oued à l'autre à la recherche de l'ombre de quelque maigre figuier, jusqu'à ce que je déniche – à peine visible parmi les rochers – la misérable cabane d'un ermite où je m'arrête pour l'écouter alors avec attention…

Bon, disons-le, mes pérégrinations ne sont que littéraires, au gré des apophtegmes de ceux que nous appelons les "Pères du désert".1

Or, parmi ces apophtegmes, s'il en est un fameux entre tous, c'est celui dans lequel on voit St Antoine expliquer à un chasseur que les moines étant des humains, il convient de trouver un juste équilibre entre l'ascèse priante et un sain délassement.

Mais laissons la parole au texte2 :

 

Il y avait dans le désert un chasseur qui vit Abba Antoine en train de plaisanter avec des frères. Il s'en scandalisa. L'Ancien lui dit : "Mets une flèche à ton arc, et tends-le." Ce que fit le chasseur. L'Ancien reprit : "Tends-le encore", et le chasseur le fit. "Continue à le tendre", poursuivit l'Ancien.

Le chasseur répliqua : "Si je le tends au-delà de la mesure, je vais le briser !"  L'Ancien lui dit alors : "Il en va de même de l'œuvre du Seigneur ; si nous tendons les frères outre mesure, ils seront brisés. Il faut donc condescendre à leurs besoins."

 

L'anecdote est connue, et pour tout dire, plaisante.

Or voici que, tout dernièrement, je suis tombé sur une "source" possible de cette anecdote dans la mesure où il est bien possible que la réponse d'abba Antoine n'ait simplement consisté qu'à citer – en l'illustrant puisque l'occasion était trop belle – un dicton devenu commun en Egypte.

En effet, papillonnant dans les "Histoires" d'Hérodote d'Halicarnasse, je tombe sur une anecdote concernant le pharaon Ahmôsis II3

Voici comment il réglait les affaires : depuis le point du jour jusqu’à l’heure où la place est pleine, il s’appliquait à juger les causes qui se présentaient. Le reste du temps, il le passait à table, où il raillait ses convives, et ne songeait qu’à se divertir et qu’à faire des plaisanteries ingénieuses et indécentes. Ses amis, affligés d’une telle conduite, lui firent des représentations. "Seigneur, lui dirent-ils, vous ne savez pas soutenir l’honneur de votre rang, et vous vous avilissez. Assis avec dignité sur votre trône, vous devriez vous occuper toute la journée des soins de l’État : les Égyptiens reconnaîtraient à vos actions qu’ils sont gouvernés par un grand homme, et votre réputation en serait meilleure ; mais votre conduite ne répond pas à celle d’un roi."

"Ne savez-vous pas, leur répondit Amasis, qu’on ne bande un arc que lorsqu’on en a besoin, et qu’après qu’on s’en est servi, on le détend ? Si on le tenait toujours bandé, il se romprait, et l’on ne pourrait plus s’en servir au besoin. Il en est de même de l’homme : s’il était toujours appliqué à des choses sérieuses, sans prendre aucun relâche et sans rien donner à ses plaisirs, il deviendrait insensiblement, et sans s’en apercevoir, fou ou stupide. Pour moi, qui en sais les conséquences, je partage mon temps entre les affaires et les plaisirs." Il répondit ces choses à ses amis.

 

Notes :

1Au point que j'ai été amené à collaborer à la réalisation d'un ouvrage sur St Macaire de Scété.

2On le retrouvera, par exemple, dans "Les sentences des Pères du désert, Collection Alphabétique", 1981. Antoine 13. Je n'ai pas jugé opportun de suivre terme à terme la traduction de Regnault.

3Hérodote, "Histoires" Livre II.173. Ahmôsis II, qu'Hérodote appelle Amasis, est un pharaon de la 26° dynastie de la Basse époque, régnant de -571 à -526, donc bien longtemps avant le bon Antoine.

 

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L
Quelle bonne bouffée d’air frais !
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