Trois sortes de gens

Publié le par Albocicade

 

Dernièrement, je lisais la recension de "Comment notre monde a cessé d’être chrétien", un ouvrage qui étudie l'effondrement de la pratique religieuse en France, ou pour être précis, l'effondrement de la pratique catholique au XX° siècle.

Le constat de l'auteur, c'est que même si on pouvait noter une érosion certaine durant la première moitié du siècle, c'est précisément à partir du Concile de Vatican II que la dégringolade a eu lieu. Ce qui pourrait sembler paradoxal, puisque ce concile était censé "vivifier le catholicisme confronté au monde moderne". Mais, est-ce si paradoxal que cela ?

Un de mes correspondant, à qui j'avais signalé cet article, notait en retour que l'auteur avait une "conception très conservatrice de la religion". C'est parfaitement exact, et c'est justement – à mon sens – la clef de cet effondrement religieux. Le concile de Vatican II a, au fond, été une réforme réalisée par des intellos, pour qui il fallait "dépoussiérer les vieilleries", remettre "du sens" et du "mouvement" dans la pratique liturgique, rajeunir le langage et se tourner résolument vers l'avenir.

Lisant ce document, je pensais à cette question[1] que posa un jour mon cher Théodore Abu Qurrah à un interlocuteur :

Théodore : Combien y a-t-il de catégories de gens ?

Le sarrasin : Je ne sais pas.

Théodore : A l'évidence, il y en a trois : les sages, les gens communs et les ignorants.[2]

C'est bien ça le problème : cette réforme était au fond un truc d'intellos qui pouvait sembler parfait sur le papier... et qui aurait pu fonctionner si l'église catholique n'avait été composée que de ce genre d'intellos. Mais ce n'était certes pas le cas. A supposer que ces gens aient été les "sages", que n'ont-ils pensé aux autres, aux "médiocres", aux "ignorants" ?

Etaient-ils bons chrétiens, ces "médiocres et ignorants", ces gens qui ne se posaient guère de questions, qui faisaient leur signe de croix par habitude, qui allaient à la messe parce que c'était le "rendez-vous du Bon Dieu", qui croyaient "ce que l'Eglise croit", sans toujours bien savoir l'expliquer.

Etaient-ils bons chrétiens ? Je n'en sais rien... peut-être parce que je ne sais pas ce que c'est qu'un "bon chrétien".

Par contre, je sais que nombre d'entre eux ont été déboussolés, désorientés lorsqu'on leur a "changé la religion".

Mais étaient-ils si sages, ces intellos qui "retournèrent" les prêtres pour les placer face à l'assemblée, ayant oublié pourquoi prêtres et fidèles priaient dans la même direction ? Etaient-ils si sages, ces intellos qui supprimèrent le jeûne du carême juste au moment[3] où des foules de jeunes occidentaux assoiffés de spiritualité prirent la route de l'Extrême-Orient dans une quête de dépouillement et d'ascèse ?

Je ne leur jette pas la pierre, mais force est de constater qu'en voulant "élargir" l'église, ils l'ont en fait coupée de sa base populaire pour en faire une sorte de club élitiste.

Et je repense à ces 21 coptes égorgés sur une plage de Lybie, il y a trois ans. Parmi eux, il y avait un converti. Les autres étaient des coptes, chrétiens égyptiens. Etaient-ils "plus" chrétiens qu'Egyptiens ? Etaient-ils tous de "bons" chrétiens ? Avaient-ils tous une réflexion approfondie sur leur foi, sur les grandes questions théologiques ? Avaient-ils tous une pratique sérieuse et rigoureuse de la piété définie par la vie spirituelle personnelle et par des règles extérieures édictées par une autorité indiscutable ? Honnêtement, cela m'étonnerait. Probablement y en avait-il des trois "catégories". Mais ils étaient chrétiens, et puisque le seul choix qui leur était laissé était soit de renier le Christ soit de mourir, alors, ils ont accepté que leur vie leur soit arrachée par des barbares. Martyrs au XXI° siècle.

Même si pour certains d'entre eux, sans doute, être chrétiens, c'était tout à la fois rester avec le Christ, avec l'Eglise, avec leur famille, avec leur Histoire...

Certes, c'est un peu "conservateur". Mais si les "intellos" ont leur place dans l'Eglise, ils ne sont pas les seuls...

 

Notes :

[1] Théodore Abu Qurrah : "Démonstration du christianisme par ce qu'il a de moins attirant", quatrième opuscule du Recueil du Diacre Jean, PG 97, col 1548 n° 21

[2] Ce découpage de l'humanité en trois groupes est caractéristique de l'argumentation d'Abu Qurrah : on le retrouve dans les traités arabes "Sur l'existence du Créateur et sur la vraie religion", "Sur la confirmation de l'Evangile" et "Contre les Juifs". On pourrait traduire "des sages, des moyens et des imbéciles".

[3] ce qui constitue tout de même une belle erreur de timing !

Publié dans Vie quotidienne, Abu Qurrah

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E
Les bouleversements entraînés par le concile Vatican II ont suscité une abondante littérature. Au delà des ouvrages généraux on peut trouver des témoignages sur des événements locaux qui sont très éclairants sur la façon dont ont été mises en œuvre certaines réformes. Dans un livre de souvenirs sur sa jeunesse passée dans une petite ville de province, dans les années 1960, un enseignant, alors élève dans un petit séminaire, témoigne de la transformation brutale du culte dans sa ville siège de l'évêché, la cathédrale devenant, selon ses termes, « un lieu « en pointe » pour vivre et supporter un ensemble d'aberrations » ( J'en propose quelques aperçus, sans donner les références du livre, pour éviter de mentionner le diocèse en cause )<br /> Notre témoin qui affirme avoir eu « la chance de bénéficier du meilleur de ce qu'a été le catholicisme en France, antérieurement à Vatican II » donne sa perception du climat religieux local :<br /> <br /> «Mais en fait de nouveauté, nous assistions surtout, en ces étranges années, a une sorte de transfert mimétique, dans une partie du clergé, de la sacralisation de l'Histoire et de la Révolution qui avait été menée à bien , si je puis dire, deux générations plus tôt, dans la saga de l'école républicaine. De même que, dans le légendaire républicain, l'Histoire se scindait autour de la Révolution entre un avant ténébreux, répressif et triste et un après lumineux, libre et joyeux, de même chez ces clercs escortés de plusieurs fidèles eux aussi illuminés par un nouveau sacré, l'histoire du catholicisme gravitait désormais autour d'un avant Vatican II, écrasant d'ignorances, d'incompréhensions, de cléricalisme exacerbé, de fidèles mutilés par la terreur de l'enfer et un après, un maintenant lumineux, caractérisé, lui, par une intelligence enfin véritable de la foi, laquelle ne pouvait plus désormais conduire qu'à des « engagements » sociaux voire politiques, tant la vie de ce monde primait désormais sur la croyance « dépassée » en une réalité autre et première, et tant lesdits « engagements » devenaient beaucoup plus que la prière ou l'ascèse personnelle l'éminente manifestation du renouveau » .<br /> <br /> La cathédrale fut l'objet d'une purification radicale : « En quelques mois, le sort des boiseries centenaires du choeur fut fixé : elles seront brûlées, en catimini d'ailleurs ; il en alla de même pour la chaire de la nef, bel ouvrage d'ébénisterie et, dans la foulée, pour les restes des autels latéraux... », certaines statues aboutirent chez des antiquaires. « Aucun marché, en revanche, n'était preneur des vêtements sacerdotaux, si travaillés, si riches et si nombreux : leur élimination, ou du moins leur réduction drastique, fut menée à bien avec autant de diligence et d'efficacité que de discrétion. Il m'a été dit, par un prêtre digne de confiance,que nombre de vêtements liturgiques avaient été mis en tas dehors, afin d'être enlevés par les éboueurs municipaux. Ces derniers s'étaient refusés de les prendre et de les monter à la décharge […] j'ignore comment ils finirent : jetés et brûlés assurément, mais sur l'initiative de qui ? » L'auteur déplore la vente des bâtiments de l'ancien séminaire, sans qu'en soit exceptée la chapelle conservant les sépultures de plusieurs évêques, tombes qui avaient été déjà déplacées suite à la précédente expropriation de l'ancien séminaire par décision politique : «  cette fois, la translation des sépultures de ces prélats ne résultait d'aucune contrainte, mais d'un simple acte de vente de ces lieux riches d'histoire à un promoteur immobilier ». L'auteur ne manque pas d' évoquer les réformes liturgiques à la hussarde : « Plus question à la limite, de conserver quoi que ce soit des pratiques passées, ou alors par condescendance pour quelques personnes âgées et pieuses.. » Mais ce qui l'a le plus stupéfié «  c'est la volte-face de prêtres qui m'avaient éveillé à la compréhension de ce qu'à présent ils abhorraient. Je demandai à l'un d'eux, malgré mon jeune âge, si ce qu'il disait à présent ne contredisait pas quelque peu son engagement d'hier ; il me répondit avec aplomb mais peut-être de bonne foi, tant est grande la force du déni, qu'il ne m'avait jamais enseigné ce dont je lui parlais, et que ce n'était que dans ma tête que de telles contradictions se faisaient jour »
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J
bonjour et bonjour a toute la famille esperant que cela s´améliore pour ceux qui ont été fragilisé...<br /> mais je voudrais faire un petit commentaire a ton article ....lu ce jour....d´abord je ne connais pas cet auteur ni ce livre que tu cites pour le moment....pour ma part, je ne crois pas que ce soit le concile qui as "déclanché" ce moment ....je crois ce mouvement de déchristiniation existait avant....notre fondateur deja constatait cela dans les campagnes de france avant la guerre et c´est pour cela que nous avons été fondé.....pour le concile ,je crois plutot a un souffle d l´esprit saint et dont le pape jean a été le catalyseur pour lancer le concile....c´est vrai que c´est les memes périodes .....alors je crois plutot que des hommes et sans doute des intellectuel dont on fait allusion n´ont pas été a cet écoute de l´esprit avec cet nouveauté du concile qui arrivait et sont allés vers des exagérations que l´on connait.....oui, c´est le probleme de l´homme pecheur ....sans doute mes paroles sont mal dites.....mais merçi de ton expression....cela m´aide a réfléchir....fraternellement en christ vivant aujourd´hui<br /> jean marie
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A
Bien cher Joao-Maria, comme je l'écris, "je ne leur jette pas la pierre". Ils ont cru bien faire, je n'en doute pas. Mais ce que je ne parviens pas à m'expliquer, c'est pourquoi ils n'ont pas pris en compte les "gens de peu" qui se sont retrouvés bien déboussolés. Pourquoi, dans des villes importantes comportant de nombreuses paroisses n'a-t-on pas laissé la moitié des paroisses "ancien-style" et l'autre moitié "nouveau style", équitablement réparties géorgraphiquement, laissant les fidèles chosir, tester, évoluer ou non. L'aggiornamento était-il une bonne idée ? Je n'en sais rigoureusement rien. Mais la manière quasi forcenée dont ça s'est passé donnait à penser que "avant, c'était mal..." J'ai ainsi connu un prêtre orthodoxe qui avait été appelé par un vicaire d'une grosse paroisse pour qu'il "se serve autant qu'il voulait" dans les reliques, puisqu'elles allaient être ... jetées. Le prêtre orthodoxe a récupéré tout ce qu'il a pu de reliques du premier millénaire... C'est cet espèce de "grand-écart" qui me semble avoir été problématique. Mais tu as raison : le Christ est vivant, et avec Lui et par Lui, nous vivons !