Etranger parmi les étrangers
Il y a les accros du voyage, et il y a les casaniers.
Sans nul doute, je fais partie des seconds : au Mont Palatin, je préfère sans nul doute mon petit Liré (qui ne s'appelle pas comme ça, bien sûr) et si je ne goûte guère la douceur angevine, c'est juste que je ne suis pas d'Anjou, que j'ai grandi dans un climat plus contrasté, plus rude.
Pour autant, une fois n'est pas coutume, nous sommes partis passer quelques jours loin des pierres empilées qui constituent notre maison, à l'étranger.
L'Etranger… c'est vaste, et c'est peuplé. Comme le disait naguère le grand sociologue Luis Rego : "Les chiffres sont formels, il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde", ce qu'un de ses compagnons de recherches affinait de la sorte "Non seulement les étrangers ne parlent pas français, mais en plus, selon où vous allez, ils ne parlent pas tous le même étranger".
C'est vrai du langage parlé, mais aussi des autres codes de communication, et il faut des jours pour arriver à comprendre le code de la route en vigueur à l'intérieur de ces frontières…
Bref, parfaits touristes, nous baragouinons à peine la langue du lieu, trois ou quatre mots guère plus. C'est la règle du jeu et, somme toutes, puisque nous ne demandons rien de spécial et que nous payons ce que nous achetons, cela va sans problème.
Et puis, survient un drame, un accident. De promeneurs, nous devenons demandeurs de beaucoup. A vrai dire, les secours sont pléthoriques – par route, par mer, par air – et tout à fait compétents techniquement. Mais comment nous faire comprendre, comment comprendre ce qu'on nous dit ? Nous sommes déboussolés, perturbés. Et là, première surprise, la première personne qui intervient parle français. Ce n'est pas sa langue : les étrangers, c'est nous, mais c'est elle qui fait l'effort. Et d'ailleurs, tout au long du processus hospitalier, cela se confirme : outre les deux langues locales, les soignants parlent en général français ou anglais. Avec une syntaxe ou une prononciation approximative, certes, mais quand même. Et quand ils sont dépourvus de ces deux idiomes, ils semblent si désolés de ne pouvoir être précis que leurs sourires sont autant de réconforts.
De sorte que, peu à peu, nos pouvons reprendre le dessus.
Et moi, étranger parmi des étrangers, je pense à d'autres étrangers. Il sont déboussolés, perturbés ; ils ne parlent pas le français, ou si peu, si mal ; ils ne sont même pas venus faire du tourisme mais fuir la peur, la haine. Et comment les recevons-nous ? Comment les accueillons-nous ?
Je le sais, en France, nous les regardons aisément de travers, comme des gens bien peu capables d'apporter quelque chose, comme des gens qui demandent beaucoup. Oui, il leur faudra du temps pour se remettre de leur détresse, de leur angoisse, de leur peine. Mais ils s'en remettront d'autant mieux que nous les aurons accueillis avec compétence, avec des mots justes, avec compassion.
Sont-ils tous recommandables ? A vrai dire, lorsque les secours sont arrivés sur le lieu de notre accident, ils ne nous ont pas demandé si nous étions recommandables : ils nous ont secouru.
C'est curieux, parce qu'ainsi, ils mettent en œuvre cette parole de St Ambroise de Milan ("De Naboth" 8.40)
La miséricorde n'a pas l'habitude de juger des mérites, mais de subvenir aux nécessités, elle aide le pauvre et n'examine pas la justice.
Mais peut-être faut-il être un jour étranger parmi les étrangers non pas pour le comprendre, mais pour vraiment le ressentir.