Le guide

Publié le par Albocicade

A pas lents, mesurés, le guide avance sur le sentier à flanc de montagne.

Derrière, le groupe suit. Parfois compact, parfois plus étalé.

De temps à autres, le guide se retourne, explique.

Tel sommet, en face, c'est le ... D'ailleurs, il l'a fait il y a deux ans, et est descendu à ski par la coulée (vertigineuse) que l'on aperçoit entre deux arrêtes.

Cette plante, c'est de la ..., les bergers s'en servaient pour ...

Il sait tout !

En fait, non. Ce sommet, là bas ? Bonne question. Il doit regarder la carte, user de sa boussole pour répondre. Et cette plante ? Alors là, il sèche. Il faudra penser à prendre une flore, demain, pour la prochaine sortie.

Et toujours à pas lents, réguliers, il mène le groupe.

Certains s'impatientent, veulent allonger le pas.

Pas de problème : qu'ils passent devant, mais – impérativement – qu'ils attendent à telle bifurcation. Lui, il n'accélèrera pas : il a évalué le groupe et considère que c'est le rythme qui convient pour que tous parviennent au bout de la marche sans être épuisés.

Et le groupe poursuit son ascension à un train de sénateur.

Au point que, dans la tête des plus aguerris, de ceux qui trouvent que – décidément – on se traîne vraiment – naît une pensée balbutiante... "Et si ce guide – paysan de son état – n'était au final qu'une sorte de bluffeur ; s'il n'était juste pas capable de soutenir un train un peu plus dynamique ?"

Oh, ils ne le disent pas, ne le pensent pas même vraiment... mais...

 

Il est presque une heure de l'après-midi.  Le groupe arrive au col où l'attendent les plus fringants. Après plus de quatre heures de grimpée, il est temps de faire une pause.

Au bout de quelques minutes, le guide se penche vers moi :

- Tu vois, le sommet en face, j'ai bien envie de le faire...

- Sérieux ? Mais il y en a pour plus d'une heure rien qu'à le monter

- Je dirais... une demi heure, aller-retour.

Il se lève et, allongeant une bonne foulée prend la direction, gravit une butte, redescend plus loin et disparaît.

- Qu'est-ce qu'il fait ?

- Il a dit qu'il voulait faire le sommet en face.

 

Cinq bonnes minutes plus tard, un minuscule point rouge apparaît  sur le versant en face, dans un pierrier, se déplaçant rapidement, contourne un névé, atteint une barre rocheuse, la dépasse... et parvient au sommet en 19 minutes.

Puis, sans s'attarder de trop, le point rouge repart dans l'autre sens et, tout en zig-zag fait la descente jusqu'au pierrier où il disparaît, avant de reparaître au sommet de la butte. 35 minutes aller-retour !

Il rejoint le groupe toujours en courant, puis, ayant lancé "Il y a une super vue, de là-haut !" se rassied pour terminer son casse-croûte.

Renseignement pris, ça faisait un dénivelé de plus de 300 m.

 

La pause achevée, il reprit la tête du groupe, à pas lents, mesurés.

Oh, bien sûr, il pourrait aller plus vite, forcer un peu le pas, mais là, il mène le groupe, et tous doivent arriver au bout de la marche en bon état.

 

Allez savoir pourquoi, cela me fait penser à un passage de la Genèse, lorsque Esaü ayant retrouvé Jacob, ce dernier lui dit :

"Passe devant, pour ma part j'avancerai lentement, au rythme des troupeaux, au rythme des enfants, et je te rejoindrai à Seïr". (Gen 34.14)

 

PS. Message personnel : Chapeau, frangin !

 

Publié dans Vie quotidienne

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L
Magnifique!
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P
Oui merci pour ce texte qui relate bien l'ambiance !les mots choisis décrivent parfaitement l'atmosphère!