La procession

Publié le par Albocicade

Cet épisode est rapporté, au XIII° siècle, dans un pamphlet anti-chrétien d'un fonctionnaire musulman du nom de Ghazi ibn al-Waziti, intitulé "Réponse aux Dhimmis et à ceux qui les suivent".[1]
 
L'épisode se place en 1260, après la prise de Damas et du reste de la Syrie par les troupes mongoles d'Houlagou Khan qui avaient déjà pris Baghdad.
A la demande des chrétiens de Damas et d'Erbil, un notable de Damas se rendit auprès de Houlagou Khan pour plaider en faveur des populations non-musulmanes de Syrie. Houlagou Khan, qui était lui-même païen, mais dont la mère Sorgaqtani et l'épouse Doqouz Khatoun étaient chrétiennes nestoriennes, lui remit un décret portant que chaque groupe religieux – qu'il s'agisse des chrétiens, des juifs, des mages, des adorateurs du soleil ou encore d'autres idolâtre – pouvait proclamer ouvertement sa foi; en conséquence de quoi aucun musulman ne devrait désapprouver l'une quelconque de ces religions ou s'y opposer en paroles ou en actes. L'édit portait en outre que quiconque ferait une telle chose devait être mis à mort. De plus, toutes les institutions (écoles, hôpitaux, quartier d'affaires, et mosquées) étant aux mains des musulmans et fonctionnant en circuit clos, Houlagou considéra qu'une part notable des impôts qui auraient du lui revenir lui échappaient et détermina qu'un tiers des taxes religieuses devait être versé au trésor des Mongols.
Porteur de cet édit, l'émissaire fit prévenir le clergé de Damas pour qu'il le rejoignent en vêtements liturgiques à Seidnaya[2], et que de là ils l'escortent en procession jusqu'à la ville, évêques en tête, prêtres et diacres portant croix, Evangile, cierge et encens, au chant des hymnes liturgiques.
L'entrée en plein jour dans Damas de cette foule chamarrée, au son des tambours, trompettes, cymbales et cris de joie en plein mois de Ramadan ne passa pas inaperçue. Les hommes avaient osé mettre leurs meilleurs vêtements, les femmes portaient avec fierté les colliers et bijoux qu'il leur était la veille encore interdit d'arborer selon les règles du "Pacte d'Omar"[3]. De la foule en liesse on pouvait entendre s'échapper des vœux de "Longue vie à la dynastie de Houlagou qui nous a garanti la victoire, et le triomphe de notre vraie religion sur les religions des Menteurs" lorsqu'elle passait devant une mosquée, et même certaines portes de mosquée furent parfois maculés de projections de vin.
Petites satisfactions mêlées de mesquinerie après des siècles de sujétion.
Si ce jour fut donc joyeux pour les chrétiens, ce fut un jour de trouble, voire d'angoisse pour les musulmans de Damas, plus habitué à être craints par leurs "protégés" qu'à les voir se tenir droits et fiers.
 
NB : je n'ai – pour cause, pas pu trouver de photo d'époque, mais ça devait ressembler un peu à l'illustration que j'ai mise…
 
Notes
[1] Edité et traduit par Richard GOTTHEIL : "An aswer to the Dhimmis", 1921.
[2] Probablement au "Dayr sayidat saydanaya", le fameux monastère Notre Dane de Seidnaya, à une trentaine de kilomètres au nord de Damas.
[3] Selon le "Pacte d'Omar", dont l'auteur du traité cite précédemment une des versions connues, les chrétiens, pour se soumettre au statut de Dhimmis, s'engagent à "ne pas manifester publiquement leur religion", à "ne pas s'habiller comme les musulmans, mais toujours de la même manière, en portant une ceinture spéciale", à ne pas faire paraître "nos croix et nos livres sur les chemins fréquentés par les musulmans et dans leurs marchés", à ne pas même faire "les processions publiques du dimanche des Rameaux et de Pâques".
 
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