Petit remplacement sémantique

Publié le par Albocicade

L'autre jour, je farfouillais dans le dictionnaire, à la recherche de je ne sais plus quel mot ; "stridulation" ou "craquètement" il me semble. Pas le petit dico de base, non, celui de l'Académie Française.
L'indigence de la définition éveilla ma curiosité.
Du coup, changeant mon intérêt, je me mis en tête de voir ce que ladite Référence avait à nous dire de la Bible.
Et, pour faire bien, je jetais d'abord un œil à l'apparition du mot, dans la première édition, celle de 1694 :
 
L’Escriture sainte, le vieux & le nouveau Testament. La sainte Bible. le texte de la Bible. les passages de la Bible. la version de la Bible. Bible Latine. Bible Grecque. Bible Françoise. Bible Polyglotte.
C'est succinct, mais décrit bien l'usage dans la "France chrétienne", et la définition reste quasi identique jusqu'en 1935 (8° édition) où l'on ajoute l'usage de parler de "bible" pour un ouvrage de référence.
Tout change dans la neuvième et actuelle édition, la définition devient :
 
Recueil des livres saints considérés par les juifs et les chrétiens comme inspirés et canoniques. Lire la Bible dans la version des Septante. Jurer sur la Bible. Par métonymie. Volume contenant le texte de la Bible. Acheter une bible latine. Une bible en hébreu, en grec, en français. Une bible sur parchemin. En apposition. Papier bible, papier très mince, suffisamment opaque pour recevoir l’impression. Fig. Ouvrage de référence et qui fait autorité pour une personne ou un groupe. "L’Esprit des lois" est sa bible.
 
L'adjonction des Juifs est certes bienvenue, mais mal introduite puisque ce que les juifs appellent "Bible" ne recouvre que la partie que les chrétiens appellent "Ancien Testament"... et encore, l'Ancien Testament tel qu'il est compris dans les Bibles protestantes. La définition est donc confuse puisqu'elle laisse à penser que juifs et chrétiens ont la même "Bible", sans que l'on soit en mesure de savoir ce qu'elle contient.
 
Cette évolution me laissa perplexe, et je décidais de regarder pour d'autres mots, et singulièrement pour le mot Coran.
Dans la France d'Ancien régime, au terme "Alcoran" (ancienne graphie du mot Coran comme chacun sait) dès la première édition du Dictionnaire on lit :
Livre qui contient la Loy de Mahomet. Lire l’Alcoran. Il signifie figurement la Loy mesme.
et s'y ajoute l'exemple suivant :
Il a abjuré l’Alcoran pour embrasser l’Evangile.
Au fil du temps, la définition ne change guère, évoluant un peu tout de même dans la graphie et en fonction des événements politiques (de sorte qu'à partir de 1798, on continue à "abjurer l'Alcoran", mais sans pour autant "embrasser l'Evangile" !)
Mais voila que dans la dernière mouture du précieux dictionnaire , à l'article "Coran" (le terme Alcoran étant de fait très vieilli), on lit :
 
Coran nom masculin
Étymologie : xive siècle, Alc(h)oran. Emprunté de l’arabe al qur’an, "lecture", d’où "lecture par excellence", du verbe qara’a, "lire, réciter".
Le livre sacré des musulmans, parole d’Allah révélée à Mahomet. L’arabe classique est la langue du Coran. Le Coran est formé de cent quatorze chapitres ou sourates. Lire le Coran, des passages du Coran. Le Coran est le fondement de la société musulmane. Par métonymie. Exemplaire de ce livre. Une collection de corans. (On a dit autrefois Alcoran.)
 
Ainsi, tandis que la Bible est chétivement et confusément décrite comme le "Recueil des livres saints considérés par les juifs et les chrétiens comme inspirés", sans que l'on ait la moindre information sur l'étymologie, l'histoire, les langues d'origine, le contenu des différents recueil la composant ; le Coran est posément défini comme "parole d’Allah révélée à Mahomet", et qu'en outre son contenu est indiqué avec précision (langue arabe, 114 sourates).
 
Je ne saurais décrypter la pensée ou l'idéologie (s'il y en a) qui a présidé à cette évolution, mais elle me semble problématique sur un plan purement technique : un dictionnaire est là pour donner des définitions certes succinctes, mais complètes. Certes, dans la France d'Ancien régime, les définitions reflétaient la société de l'époque... doit on considérer que le Coran est devenu pour nos Académiciens, ce que la Bible était pour leurs prédécesseurs ?

Publié dans Vie quotidienne

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