Etre heureux ?

Publié le par Albocicade

 

Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but… /…  C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre.[1]

 

Cette mention de "ceux qui vont se pendre" peut sembler déroutante dans un texte sur le bonheur. Pourtant, il a raison, le bon Blaise Pascal ! Certes, on ne se suicide pas de gaîté de cœur, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais dans certaines situations, la mort semble être la seule porte de sortie, la seule échappatoire possible pour en finir avec une douleur intérieure intolérable. Espérer trouver enfin un apaisement, c'est déjà espérer un répit dans le malheur, un fragment de bonheur…

Pourtant, je sais que l'Eglise rechigne à donner des funérailles aux personnes qui ont mis fin à leurs jours – et même à prier pour elles.

Ainsi, même le samedi de Carnaval, c'est-à-dire le samedi précédant la Semaine des laitages, alors que ce jour là sont commémorés en priorité tous les défunt par mort non naturelle, ont fait une exception en excluant ceux qui se sont suicidés[2]. En effet, officiellement les saints canons de l'Eglise interdisent de prier pour les suicidés puisqu'ils ont délibérément rompu la communion avec Dieu[3]. Et on renvoie généralement à la réponse canonique  de Timothée, archevêque d’Alexandrie, dans le "Pedalion" (recueil des règles canoniques dans l'Eglise orthodoxe), à la question 14. Voici ce qu'on y lit :

 

Question. Si quelqu'un perd la raison et attente contre sa vie ou se tue en se précipitant d'une hauteur, fait-on l'offrande eucharistique pour lui, ou non ?

Réponse : Le clerc doit discerner après enquête, s'il a vraiment fait cela étant hors de sens; car, souvent les proches du suicidé, désireux d'obtenir qu'on fasse l'offrande eucharistique pour lui, mentent et disent qu'il avait perdu la raison; or, il se peut qu'il ait fait cela sous l'influence de considérations humaines ou encore par pusillanimité, et dans ce cas il ne faut pas faire l'offrande eucharistique, son corps présent, car il est son propre meurtrier. Il faut donc absolument que le clerc s'en enquière minutieusement, pour ne pas encourir de condamnation.

 

Je me demande si l'on peut se suicider en étant dans son "bon sens", sans une certaine "abolition du discernement" comme diraient les spécialistes.

Mais quand bien même cela serait… ne risque-t-on pas de se tromper lourdement en refusant l'accompagnement spirituel des funérailles orthodoxes à celui qui a mis fin à ses jours ?

Que l'on considère qu'une telle personne est criminelle, et qu'à ce titre l'Eglise rechigne à lui faire des funérailles dignes, pourquoi pas ; mais comment ne pas voir aussi que cette même personne a péri d'un assassinat ? Comment donc lui refuser de l'accompagner avec miséricorde dans son passage ? Car c'est bien cette même personne, victime, que l'on prive alors des prières de l'Eglise (alors que l'on s'efforcerait de l'entourer d'affection, de soins et de prières si sa tentative mortifère avait échoué)

 

Par ailleurs, qu'est-ce à dire, de parler de "considérations humaines" dans la réponse de Timothée d'Alexandrie ? Que penser de Ste Pélagie d'Antioche ? La voila arrêtée par la police romaine sous l'accusation  de christianisme. Elle sait qu'elle risque d'être violée par la soldatesque. Elle sait que si elle est présentée devant le tribunal, la sentence de mort sera certainement prononcée, à moins qu'elle ne soit envoyée finir sa misérable vie dans quelque lupanar puisqu'elle refusera d'apostasier sa foi. Elle sait tout cela et décide de se suicider en sautant du toit de sa maison, aussi demande-t-elle aux soldats de pouvoir aller dans sa chambre changer de vêtements. Elle s'est sentie coincée, bloquée, et ne se vit d'autre issue que la mort. N'y a-t-il pas là "considération humaine" ? N'eut-elle pas plutôt pu (pardonnez l'outrance de ma remarque, que je ne fais que pour donner voix aux plus intransigeants des zélotes !) espérer quelque délivrance miraculeuse ? Ce n'est en tous cas pas l'avis de St Jean Chrysostome qui fait un éloge appuyé de sa foi et de son geste.

Mais sans aller aussi loin (puisque le cas de Ste Pélagie est tout de même exceptionnel) n'est-il pas grand temps d'accompagner non seulement la famille endeuillée, mais encore le défunt lui-même, fut-il à l'origine de sa propre mort ?

C'est effectivement l'opinion des évêque orthodoxes d'Amérique, opinion exprimée dans une "Lettre pastorale sur le suicide" de 2007, que je viens de retrouver, et de placer sur Archive.

 

 

[2] C'est ainsi que s'exprime St Jean de Cronstadt, cité par le site des "Pages orthodoxes". Je reconnais qu'un ami prêtre m'avait dit, a contrario, que ce jour là on prie pour tous les défunts, et il avait précisé "y compris les suicidés".

[3] Préambule à un "Rite de la prière de consolation pour les parents de ceux qui ont volontairement mis fin à leur vie" approuvé par le Saint-Synode de l'Eglise orthodoxe russe cité par le site "Parlons d'orthodoxie"

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