Un jour à Bagdad
La voix, tout là-haut, appelle à la prière.
En bas, ils l'entendent. Et même, ils l'entendent avec une sorte d'indifférence : c'est pour leurs voisins, leurs amis, mais eux ne sont pas concernés. Ils ont toujours vécu ici, de même que leurs parents, et les parents de leurs parents. Ici, c'est à Bagdad, et l'appel du muezzin ne les concerne pas : ils sont chrétiens, catholiques.
Alors, ils ont l'habitude.
Enfin… ils avaient l'habitude.
Parce que maintenant, lorsqu'ils entendent l'appel du muezzin, leur sang se glace : ce sont les mots des assassins, les mots qui ont été hurlés dans la cathédrale.
C'était dimanche. Et benoîtement, ils s'étaient rendus à l'église.
Et c'est là que, durant la messe, ils les ont vu entrer.
Pas des paroissiens, non, vraiment pas : des assassins vociférant, l'arme au poing, la haine au cœur, clamant qu'il n'y a qu'un seul Dieu, et que son prophète s'appelle Mahomet.
Et au nom de ce "dieu" clément et miséricordieux, ils ont abattu les prêtres, tiré sur les fidèles…
Lorsque je suis allé au travail, le lendemain, certains de mes interlocuteurs m'ont trouvé mauvaise mine.
J'ai simplement répondu : "je suis en deuil".
Bien sûr, dans cette église, là-bas, à Bagdad, ils sont catholiques et moi non, mais quelle importance ? Ceux qui sont venus armés jusqu'au dents savaient qu'ils ne trouveraient que des chrétiens…
Et moi, mon cœur saigne.
Complément nécessaire.
Je ne voudrais pas paraître faire des amalgames douteux, des raccourcis injustes.
Je sais bien que de très nombreux musulmans ont été choqués, horrifiés par cette barbarie.
Je n'ignore pas non plus la condamnation officielle et probablement sincère du "sacrilège" que représente ce massacre, "en totale contradiction avec les principes élémentaires" de l'islam selon le CFCM. Le propos est ferme, les termes choisis.
Mais je ne peux me défaire d'un violent et profond malaise : lors de l'affaire des "caricatures de Mahomet", ou après le discours de Benoît XVI à Ratisbonne, des dizaines de milliers de musulmans se sentant offensés sont spontanément descendus dans les rues clamer leur indignation.
Où sont-ils donc, aujourd'hui ? Ne se trouve-t-il personne en Indonésie, en Afrique du Nord, en Arabie Saoudite pour descendre dans la rue dénoncer ce "sacrilège contre le message divin" ?
D'autre part, si ces meurtriers sont "en totale contradiction avec les principes élémentaires" de l'islam, comment n'y a-t-il pas des centaines de muftis, les plus respectés d'entre-eux, pour déclarer dans une fatwa que ceux qui ont pris part à ces meurtres ne sont pas des musulmans, mais des renégats de l'islam ?