Respiration
Milieu de semaine, après-midi de congé. Dans l'attente d'un rendez-vous, j'ai une demi-heure de libre.
Je commence à déambuler dans les rues : une demi-heure à perdre… tuer le temps…
Tuer le temps ? Non, vivre le temps : j'ai besoin de prier, besoin de m'arrêter pour prier.
Je passe auprès de l'église du village.
Je ne l'aime guère : elle est écrite dans une langue qui n'est pas la mienne ; et même, je soupçonne quelques approximations de syntaxe.
Néanmoins, j'entre. L'église est déserte… absolument déserte. Il y a toujours plus de monde à picoler au bistrot d'en face que de gens à prier dans l'église.
Elle est déserte, et ça m'arrange : je vais pouvoir prier "de tout mon être"*, sans craindre l'oreille étonnée ou le regard narquois du badaud désoeuvré.
Au milieu de l'église, mon cœur s'ouvre. En slavon, en français, en grec, tant il est vrai que la forme des mots importe moins que leur sens et que la manière dont l'âme les porte.
Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel
Aie pitié de nous !
Je respire, enfin je respire !
Gloire au Père et au Fils et au Saint esprit
Maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Je multiplie les métanies, petites et grandes.
Ma bouche prie, mon cœur prie, mon corps prie : "de tout mon être".
Je me tourne vers le grand crucifix, sur le côté :
Devant ta Croix
Nous nous prosternons, ô Maître,
Et ta sainte Résurrection
Nous la chantons.
Puis vers la statue de la Vierge (une statue, quelle idée ! Et en plus, elle ne présente pas le Sauveur… mais au-delà de ces apparences, je sais bien qu'ils ont voulu représenter celle qui a donné naissance à Celui qui est Dieu par nature, ce qui lui vaut le titre de Théotokos, de "Mère de Dieu")
Il est digne, en vérité,
De te célébrer ô mère de Dieu
Bienheureuse et très pure et Mère de notre Dieu;
Toi plus vénérable que les chérubins
Et incomparablement plus glorieuse que les séraphins
Et qui sans corruption enfantas Dieu-le-Verbe,
Toi véritablement Mère de Dieu
Nous te magnifions.
Puis de nouveau vers l'Orient, lieu du soleil levant (enfin, un orient bien symbolique… elle ne m'a pas l'air franchement "orientée", cette église)
Notre Père qui es aux cieux
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Que ta volonté soit faite
Sur la terre comme au ciel
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé
Et ne nous soumets pas à l'épreuve
Mais délivre-nous du mal
Encore et encore… de prosternement en mots, de mots en silences… je respire.
Lorsque je suis sorti, c'était presque l'heure de mon rendez-vous, et franchement, je n'avais pas perdu mon temps !
Note:
L'expression בְּחַיָּי (berhaïaï), littéralement "dans ma vie" est généralement traduit par "durant toute ma vie" (cf Ps 146.2), mais certains, notamment les Hassidim le comprennent "par toute ma vie", c'est-à-dire "avec tout mon être" : notre prière n'est pas "seulement" une action "mentale", mais aussi (entre autre) affective, et il n'y a aucune raison pour que notre corps, cette partie importante de nous-même soit écartée de la prière...