La traversée
C'est au cours d'une promenade matinale que je la croise. Je suis un peu chagrin : à mi-chemin, il s'est mis à pleuvioter. Rien de dramatique, certes ; rien de trop agréable non plus.
Enfin, c'est mon avis, pas le sien.
Elle, elle a l'air presque hilare. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'un large sourire lui traverse le visage, mais c'est bien parce que c'est difficile à discerner, un sourire sur une limace.
Curieux animal, la limace ; tellement humain.
Toujours au ras du sol, sans rien pour la protéger mais dotée d'une volonté farouche. Elle avance vers un but qu'elle seule connaît, ou plutôt qu'elle croit connaître.
Celle-là s'est décidée à traverser la route.
Pourquoi ? Sans doute croit-elle que l'herbe est plus verte, de l'autre côté. (Quand je dis que cette bestiole a des fonctionnements fichtrement humains !)
Techniquement, la traversée est possible : le sol se mouille des gouttes que laissent échapper les nuages, et cette route est vraiment peu fréquentée.
Je ne suis pas resté pour applaudir à son succès, ou pleurer son décès prématuré sous quelque pesante roue : il pleuvait, et quand j'ai de l'eau dans le cou, je grommelle.
Mais en marchant, j'ai continué à penser à elle, à ce qui a pu la décider à prendre une décision si peu raisonnable, tout en me demandant si nos décisions ne sont pas, bien souvent, guère plus raisonnables…
Note aux âmes sensibles : dans la mesure où, jusqu'à la fin de mon périple (ce qui a duré plus d'un quart d'heure),
je n'ai ni croisé de voiture, ni été doublé par l'une d'elle il y a tout lieu de penser que la Glissante est parvenue vivante à son but.