La substantifique moelle
Avez-vous déjà vu un chien occupé avec un os ?
Platon le dit : le chien est un animal philosophe ! Si vous l'avez vu, vous avez pu noter avec quelle application il garde son os, ne le quittant pas de l'œil, avec quelle délicatesse il commence à le ronger avant de le briser subitement, avec quelle gloutonnerie il en suce finalement la moelle. Car c'est bien pour cela qu'il se met en peine.
A l'exemple de ce chien et de son os, il convient d'être sage.
Cependant, ce ne sont pas des os mais des livres qu'il nous faut chercher, des livres de qualité dont nous pourrons avec application tirer ce qu'ils ont de meilleur, de nourrissant : leur "substantifique moelle".
Il n'est pas dans mes habitudes de me référer à Rabelais, moins encore de le citer (d'ailleurs, ce n'est pas exactement une citation, plutôt une petite paraphrase d'un passage célèbre du prologue à Gargantua), mais là, je n'ai pas résisté : c'était trop tentant.
Le chien et son "nonosse", comment dire, c'est presque trop beau pour présenter "mon" auteur.
Un poète, cet auteur, un émule d'Homère et de son style. Et bien sûr, il écrivait en grec.
Curieusement, il n'a pas été intégré dans Sources Chrétiennes. A mon avis c'est dommage. C'est vrai, quoi, une paraphrase de l'Evangile selon St Jean en vers héroïques, ça ne court pas les rues.
Les traductions non plus, d'ailleurs : en français, il n'y en a qu'une, celle du Comte de Marcellus, en 1861. Introuvable.
Une manière nouvelle d'aborder le texte de l'Evangile : non pas un commentaire bien technique, plutôt le déploiement d'une fresque, comme une immense tapisserie.
Il a comme "grignoté" chaque mot de l'Evangile, le poète, pour en faire ressortir ce qui était inséré en eux, nappant le tout d'une sauce homérique.
Bref, vous en êtes à vous demander "Mais qui est-il donc, ce poète qui nous a valu un tel préambule ?"
Allez, je me lance : il s'agit de "Nonnos".
Un Egyptien hellénisé de Panopolis, une ville sur la rive du Nil.
Un acharné de l'hexamètre dactylique : plus de 20000 vers pour chanter… Bacchus.
Heu, j'avais parlé de l'Evangile, non ?
En fait, il a commencé par un immense poème sur la jeunesse de Bacchus/Dionysos, puis, après ses "Dionysiaques", et sans que l'on sache encore comment s'est opérée cette transition quelque peu improbable, il a bel et bien composé une paraphrase (une "métabole", pour être précis) du quatrième évangile.
C'est donc la traduction de ce texte que je propose :
Paraphrase de l'Evangile de Jean par Nonnos de Panopolis, traduite par le Comte de Marcellus, 1861, introduction par Albocicade.