Du gris sur les ailes
A vrai dire, Serge Lama n'est pas un chanteur que je fréquente. Pourtant, c'est bien à une de ses chansons que j'emprunte les mots qui me viennent en ce moment : "c'est mon ami et c'est mon maître…"
J'ai raconté, il y a quelques années, notre rencontre à la section grecque de l'IRHT, autour des microfilms du Codex Ephraemi Rescriptus.
Lui le spécialiste, moi le béotien naïf mais enthousiaste.
Comment dire ces années où, de rencontres en rencontres, nos conversations roulaient sur les pères de l'Eglise, le texte critique du Nouveau Testament, mais aussi le renouveau charismatique ou les relations œcuméniques.
Comment rendre ces heures passées à travailler sur des textes, non pas forcément pour qu'ils soient publiés, plus pour le plaisir de moments partagés, comme d'autres se retrouvent pour regarder ensemble un match de foot.
Mais tout ne tournait pas exclusivement autour de textes : lors de notre mariage, à Dame Cigale et moi, il était présent, ami fidèle.
Et lorsque nous avons demandé à entrer dans l'Eglise orthodoxe, loin de s'en offusquer, il était encore là.
En tant que catholique, il avait la fâcheuse habitude de faire la fête avant moi, lui qui célébrait la lumineuse Pâques une, deux voire trois semaines avant que je ne puisse le faire.
Et ce n'est jamais sans une certaine malice qu'il m'en faisait la remarque… sauf les années où les dates coïncidaient.
Plus de 40 ans nous séparaient. Le temps passant, il est devenu aveugle, puis malade.
Maintenant, il est mort : une fois encore, il me devance pour la fête.
Il a certainement déjà rencontré St Ephrem le Syrien (qui nous a mis en relation, il y a bien longtemps), puis l'higoumène Syméon de St Mamas dont il a traduit les catéchèses, et encore Théodore "Aboukara", Jean "Arclas" (qui est probablement l'auteur de "canons" en vers iambiques attribués à St Jean Damascène), Cosmas de Maïouma et tant d'autres. Et benoîtement, tous ceux-là auront accompagné le "petit nouveau" jusque dans la présence lumineuse du Sauveur.
Parce que, bien plus que les textes, c'est Lui qui nous réunissait : le Christ ressuscité !
Alors, oui, j'ai perdu un ami, quelqu'un qui m'a appris à être ce que je suis, quelqu'un que j'ai toujours vouvoyé.
Le chemin va être différent, maintenant.
Je n'ai de lui que peu de photos… j'hésite à en mettre : les photos, c'est menteur, ça ne montre que l'extérieur.
…
Alors, oui, la "cigale aux ailes blanches" a du gris sur les ailes. C'est le prix de l'amitié, le prix de la vie.
Mais au fond du coeur, je suis reconnaissant : reconnaissant à Dieu qui nous a fait rencontrer ; reconnaissant à lui, le savant, de m'avoir accordé cette amitié fidèle, reconnaissant de ce que nous avons pu cheminer durant toutes ces années...
Et je sais bien que ce n'est pas fini ; on se reverra :
Χριστός Ανέστη !