A un détail près

La miséricorde, cette "pitié qui vient du cœur" et qui submerge la raison, qui défie la mesquine rationalité et la justice à courte vue me semble être un élément incontournable de l'Evangile.
Jésus, crucifié, qui prie pour le pardon de ses bourreaux en est la pierre de touche.
C'est aussi pourquoi lorsque j'ai lu, il y a bien des années, dans la vie de St Séraphim de Sarov qu'il avait intercédé en faveur de ceux qui l'avaient agressé et laissé pour mort, menaçant même de quitter la région s'ils étaient punis (attitude qui est à mille lieues de mes propres réaction, hélas), je me suis dit : "ça, c'est l'Evangile !"
Il ne s'agissait certes pas, pour le moine Séraphim d'approuver le mal, mais de le dépasser.
En effet, la question n'est pas de nier la nécessité des règles, mais de découvrir ce qui est le plus avantageux, comme dans cette anecdote remontant aux Pères du Désert :
Des anciens allèrent trouver abba Poemen et lui dirent :
"Quand nous voyons des moines s'assoupir pendant l'office,
veux-tu qu'on les secoue afin qu'ils se tiennent éveillé ?"
Poemen leur répondit :
"Moi, quand je vois un frère s'assoupir,
je mets sa tête sur mes genoux,
et je le laisse se reposer."
D'ailleurs, n'a-t-on pas appelé "miséricordes" des reposoirs que l'on trouve dans les stalles des moines pour qu'ils puissent, lors de certains offices particulièrement longs qui se font debout, légèrement s'appuyer ?
Bref, la miséricorde, c'est peut-être avant tout un regard porté sur Dieu et le prochain, tel qu'il est résumé par St Isaac le Syrien (sentence 48) :
Voici, mon frère, un commandement que je te donne:
que la miséricorde l'emporte toujours dans ta balance,
jusqu'au moment où tu sentiras en toi-même
la miséricorde que Dieu éprouve envers le monde.
Aussi, je suis parfois surpris par la brutalité, voire la violence des propos tenus par des chrétiens non pas de manière irréfléchie, mais au contraire argumentée, et qui prétendent justifier cette brutalité comme étant l'expression de leur miséricorde.
Ceci me laisse depuis longtemps perplexe, et même dubitatif : comment une telle confusion est-elle possible ?
Sans doute suis-je encore loin du compte, mais peut-être ai-je trouvé une piste. Il s'agit d'un détail sémantique, d'un cas d'homonymie.
Parce qu'une miséricorde, c'est aussi ça :

Alors bien sûr, si l'on confond la compassion avec une dague, si "user de miséricorde" n'est plus tenir compte des faiblesses humaines mais manier la violence, il n'y a pas lieu de s'étonner qu'un jour, quelqu'un s'écrie "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens"…
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