Au fil des pages (3)

Après Dostoïevski et Gheorghiu, c'est là où on l'attendrait peut-être le moins que j'ai déniché une petite phrase lumineuse : dans une publication "savante".
En 1984, parut en un volume, sous le titre "Antiquité païenne et chrétienne", une série de 25 étude en hommage à l'helléniste André-Jean Festugière, décédé deux ans auparavant.
J'ai une de ces études, offerte en témoignage d'amitié par son auteur, le Père Joseph P.
Il s'agit, sous le titre "Une catéchèse baptismale inconnue du début du Ve siècle", de l'édition d'un texte grec passé à peu près inaperçu dans les catalogues de manuscrits, dont l'attribution à Jean Chrysostome (par un seul manuscrit) est des plus contestables
Au long de l'introduction, puis des notes nombreuses et touffues qui accompagnent le texte grec et la traduction qu'il en donne, le père P. montre que si l'on ne peut guère attribuer ce texte à un auteur précis, on ne saurait pas non plus en localiser l'origine, ni en déterminer la date. Comme en outre, ce texte, pour intéressant qu'il soit au niveau de la connaissance de "l'ancienne catéchèse prébaptismale dans l'Eglise grecque", ne se démarque pas vraiment des centaines d'autres catéchèses baptismales de son époque, il n'est pas étonnant que ces quelques pages soient restées inédites aussi longtemps.
Et pourtant, délaissant un instant le ton "neutre" qui est de rigueur dans ce type de publication, et laissant percer le prêtre, le chrétien derrière l'archéologue des mots, le père P. ajoute, dans son introduction :
"Est-il téméraire de rêver que quelques-uns, du moins, ne les auront jamais oubliées : les catéchumènes de cette Eglise inconnue qui, en la nuit de Pâques d'une année impossible à préciser, les entendirent prononcer juste avant de descendre dans la piscine d'où ils remonteraient chrétiens".
Comme quoi, la stricte philologie n'est pas forcément éloignée de la Vie… et c'est tant mieux !