In vino veritas
Dernièrement, je regardai une bouteille de vin, vide.
Au fond restait quelques gouttes qui doucement viraient au vinaigre. Ce nectar avait, comme il se doit, attiré une drosophile. Jusque là, rien que de très banal.
Cependant, le manège de la belle a retenu mon attention : elle s'élevait dans la bouteille, tentait de remonter le goulot, puis redescendait avant de recommencer. Celle qui n'avait pas eu de difficulté pour plonger vers les attirantes effluves acides se voyait incapable d'échapper à ce qui était devenu pour elle un piège. Elle m'a fait penser à nous, humains embourbés dans nos contradictions, empêtrés dans notre matérialisme scientifique. Quand bien même nous voulons nous extraire de notre conditionnement, nous élever vers la réalité du Vivant, de nous même nous en sommes incapables.
Il suffirait, pour la drosophile, que l'on penche la bouteille pour qu'elle puisse échapper à son funeste sort (à condition que la gredine ne se re-précipite pas illico dans son cercueil de verre).
Et pour nous ?
Quelle échelle allons nous trouver pour "grimper" ? Ne serait-ce pas la croix, par laquelle la joie vient dans le monde ?
Il m'est doux de payer ici un discret tribut à Søren Kierkegaard. Il fut, certes, le philosophe que l'on sait, mais avant tout il était un chrétien convaincu qui - comme s'en amusait un journaleux du "Monde" pour le centenaire de sa mort - "croyait en Dieu comme on croit à son moteur : si les contacts sont bon, ça doit marcher".
Un de ses écrits est intitulé "in vino veritas". Il serait prétentieux de ma part de me comparer à lui, mais peut-être puis-je, moi aussi, trouver une once de vérité… dans du vinaigre.