Le retour d'Astérios
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Il y a bien des années, ce blog a débuté avec la première partie d'une homélie d'Astérios, sophiste[1] cappadocien du début du IV° siècle, sur le psaume 8 où, prenant prétexte du titre (en grec) de ce psaume Sur les pressoirs[2], le brave Astérios faisait tout un développement sur les vignes au moment des vendanges, environnées de cigales aux ailes blanche chantant "Seigneur, notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre !"
Ce sont à ces cigales aux ailes blanches que je dois le nom sous lequel je publie, à ces mêmes cigales que ce blog doit son titre. Il faut dire que la traduction dont je disposais – la seule existante en français – m'avait été offerte par le bon P. Joseph Paramelle qui l'avait réalisée tout exprès pour le baptême de ma fille puinée.
Aussi, régulièrement, je me suis promis de donner ce texte à lire dans de bonnes conditions… promesse sans cesse différée pour de multiples raisons… la plus importante étant au fond que je manquais de documentation.
Et d'abord qui était cet Asterios ? Ceux qui ont croisé son nom sous le calame de St Athanase ne peuvent pas en avoir une haute opinion dans la mesure où le champion de Nicée dénonce Astérios comme un arien de la première heure qui a osé comparer le Christ à une manifestation de puissance de Dieu, comme – par exemple – la plaie des sauterelles en Egypte ! Bien sûr, vu comme cela, ça ne donne pas envie et son nom est tombé dans l'oubli durant des siècles, ce qui ne fut pas forcément le cas pour certaines de ses œuvre : plusieurs homélies sur les psaumes ont été copiées (parfois sous des noms d'emprunt, comme il se doit) et ont finalement été rassemblées et éditées en 1956 par Marcel Richard[3] qui – au vu du contenu de ces homélies considère que – à tout prendre – s'il est légitime de voir en Astérios un précurseur de l'arianisme avant le Concile de Nicée, il n'est peut-être pas aberrant de tenir compte du fait que Philostorge[4] écrit que, après Nicée, "Astérios a infléchi sa pensée, affirmant dans ses propres discours et écrits que le Fils est l’image sans altération de l’essence du Père"[5].
En effet, est-ce d'un arien d'écrire "La Vigne divine, la Vigne d'avant tous les siècles a germé du Tombeau et elle a fructifié en nouveaux baptisés"[6].
Alors, oui, certains[7] ont voulu voir dans l'auteur de ces homélies sur les psaumes un autre Astérios que le cappadocien réprouvé autant par Athanase pour avoir été arien que par Philostorge pour s'être ensuite rapproché de la théologie de Nicée. Pourquoi pas. Toujours est-il, comme le notait Mlle Rondeau non seulement l'image qui se dégage de ces homélies est celle d'une parfaite orthodoxie, amis encore le qualificatif de sophiste lui convient à merveille, ses développements sur les psaumes consistant en des variations luxuriantes sur les images proposées par le texte sacré. Le soleil, les pressoirs, les noces, la guerre, les cigales, et bien d’autres données concrètes chatoient à nos yeux, non sans quelque artifice parfois (notre auteur aime filer la métaphore), mais avec virtuosité souvent et charme presque toujours.
Donc, disais-je jusque récemment je manquais de documentation… et en particulier des homélies !
Le fait d'avoir dû dernièrement travailler sur l'étoile des Mages, qualifiée de "huitième étoile" dans un texte chrétien chinois de la période Tang, m'a fait prendre conscience du gouffre immense entre la représentation de l'univers par les chrétiens de l'antiquité (au-dessus de la terre les sept astres mobiles, pas un de plus, et au-delà la voûte des étoiles fixe) et la nôtre (une infinité d'étoiles, de galaxies). Que l'on nous parle d'une étoile de plus, cela ne nous fait ni chaud ni froid, alors que pour les Anciens, un astre mobile nouveau… c'est inimaginable.
Et c'est là que je me suis souvenu d'une image employée par Astérios dans un des rares fragments traduits en français : il comparait la chûte de Judas à la perte d'une heure… sans lui, le jour ne comptait plus que onze heures… L'image me semble parlante, au moins assez pour percevoir un peu ce que l'idée d'un nouvel astre mobile pouvait signifier pour les Anciens.
Du coup, j'ai décidé de repartir en chasse. M'étant adressé à un groupe de chercheur, j'ai finalement reçu les homélies d'Astérios… en allemand. Il m'aura fallu encore quelques semaines, et une indication fortuite m'a conduit vers… le pdf de l'édition de 1956 : le texte grec.
Depuis, je mets tout en œuvre pour rendre dans un premier temps ce texte grec accessible et dans un second temps quelques traduction.
En attendant, je vous donnerai bientôt le texte de l'homélie 14 au complet, vous savez, celle sur les cigales aux ailes blanches…
Et des notes à la brouette !
[1] Sophiste, c’est-à-dire professeur de rhétorique et de philosophie enseignant la sagesse, l'art de parler en public, la science du raisonnement orientée vers des fins utilitaires, une des matières fondamentales de l'enseignement antique. C'est par un détournement de sens que le terme en est venu à désigner une personne enseignant la pratique du raisonnement spécieux, de toutes les ressources verbales, de toutes les subtilités permettant de défendre n'importe quelle thèse et d'emporter l'adhésion.
[2] Le psaume 8 a pour titre dans la Septante "Εἰς τὸ τέλος, ὑπὲρ τῶν ληνῶν· ψαλμὸς τῷ Δαυιδ" c’est-à-dire "Pour la fin, au sujet des pressoirs, psaume de David". Puis le psaume débute avec "Κύριε ὁ κύριος ἡμῶν, ὡς θαυμαστὸν τὸ ὄνομά σου ἐν πάσῃ τῇ γῇ" soit "Seigneur, ô notre Dieu, que ton nom est admirable sur toute la terre !" qui va rythmer l'homélie.
[3] Asterii Sophistae Commentariorum in psalmos quae supersunt. Accedunt aliquot homiliae anonymae. Edidit Marcel Richard (Symbolae Osloenses, Fasc. Supplet. XVI). Oslo, À. W. Broegger, 1956
[4] Philostorge était un arien qui a fait une "Histoire de l'Eglise" dans laquelle il insiste sur "son" parti. Cette histoire de l'Eglise ne nous est parvenue que sous la forme d'un abrégé par Photius.
[5] Abrégé de l'Histoire Ecclésiastique de Philostorge par Photius 2.15. Un autre passage montre que les écrits d'Astérios ont – au moins pour un temps – détourné l'évêque Eudoxe d'Antioche de l'arianisme pour confesser que le Christ est "de nature semblable" au Père (ὁ δὲ τῆς Ἀρειανῆς μὲν δόξης ἦν, πλὴν ἐκ τῶν Ἀστερίου γραμμάτων εἰς τὸ κατ' οὐσίαν ὅμοιον ὑπενήνεκτο : Abr HE Philostorge 4.4). Aussi, sans être peut-être un nicéen strict, Astérios était au moins devenu "homéousien", position certes insuffisante mais que, dans un soucis pastoral, Hilaire de Poitiers ne rejetait pas si – au-delà du choix des mots – la pensée était au final bien la même…
[6] Ἡ θεϊκὴ καὶ προαιώνιος ἐκ τοῦ τάφου ἐβλάστησεν ἄμπελος καὶ τοὺς (…) νεοφωτίστους.
[7] En particulier Kinzig qui a publié divers articles à ce propos, ainsi qu'une traduction allemande de l'ensemble des homélies rassemblées par Richard : KINZIG, Wolfram : "Asterius, Psalmenhomilien", BGL 56/57, Stutttgart 2002