Nicée I et l'occident

Publié le par Albocicade

Nous voici arrivés, comme chaque année à jour compté, au Dimanche des saints Pères du Premier Concile Œcuménique[1].
A jour compté, mais pas à date fixe, puisque c'est le septième dimanche après Pâques qui est dédié à la mémoire de ceux qui défendirent la foi chrétienne au Concile de Nicée, en 325, face aux errements théologiques de ceux[2] qui – par un étrange soucis de simplifier l'expression de la foi – voulaient ne considérer comme Dieu que le Père "inengendré" tandis que le Fils et l'Esprit saint étaient reléguées au rang de créatures suréminentes[3].
En 325, c'est à dire précisément il y a 1700 ans !
Nicée est à une centaine de kilomètres de Constantinople et c'est là que – venant à peine de réussir l'unité de l'Empire et de le doter de cette nouvelle capitale – Constantin convoqua les évêques pour leur permettre de régler cette dissension qui menaçait justement l'unité de l'Empire.
Ce n'était certes pas le premier "concile", ou "synode", mais c'était la première fois qu'un empereur se mêlait d'en convoquer un[4].
A vrai dire, les évêques, prêtres et moines présents furent surtout "grecs", d'Asie Mineure, d'Egypte… et les églises de langue latine ne furent représentées que par quatre ou cinq délégations.
Et encore… "délégation", si l'on veut. Il y eut bien l'évêque Ossius, de Cordoue, mais c'était le conseiller de l'empereur. Il y eut aussi une délégation de Carthage, avec son évêque Cécilien qui s'explique aisément par la proximité avec l'Egypte. L'évêque de Rome (sans doute trop âgé) ne se déplaça pas et députa seulement deux prêtres : Victor et Vincentius. Reste une dernière "délégation", celle de la "Gaule". On trouve dans la liste des signataires la mention : Γαλλίων : Νικάσιος Δουίας. "Des Gaules : Nicaise de Die[5]". Qui est cet obscur évêque d'un très modeste diocèse situé au pied du Vercors, à l'écart de la voie fluviale du Rhône ? Et surtout, que faisait-il à Constantinople, à près de 2500 km de ses paroissiens, car il est peu probable qu'il s'y soit rendu exprès suite à la convocation du Concile. De plus, est-il retourné en Gaule après le concile ? Rien ne permet de l'affirmer.
 
De fait, ce concile – si important par ses définitions théologiques exprimées par le "symbole de la foi" – ne semble pas avoir été connu immédiatement en occident.
En témoigne l'évêque Hilaire de Poitiers, exilé en Phrygie suite au synode arien de Bézier en 356 :
Quoiqu'étant chrétien depuis longtemps, et évêque depuis plusieurs années, je n’avais jamais entendu parler de la foi de Nicée avant d'être en exil.[6]
Pour autant, cette "foi de Nicée", exprimée en particulier par le choix d'un mot technique, inconnu du texte biblique homoousion (ὁμοούσιον, signifiant "de même nature", ou "de même substance") pour affirmer que le Fils est de la même nature que le Père (et non pas d'une nature différente) n'est pas une nouveauté. En effet, comme le note Hilaire :
Cela, je le croyais auparavant, mais connaître le mot homoousion a grandement contribué à ma croyance.[7]
 
 
Laissons donc la parole à St Hilaire de Poitiers pour quelques paragraphes de sa lettre aux évêques occidentaux sur la foi des chrétiens grecs qu'il a pu côtoyer durant son exil (De synodis).
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(84) Voyons donc ce que le concile de Nicée a voulu enseigner en confessant homoousion, c’est-à-dire "de même substance" : ils ne l'ont certes pas employé pour engendrer une hérésie issue d’une mauvaise compréhension de homoousion. Je ne crois pas un instant qu’ils aient voulu dire que le Père et le Fils, possédant une seule substance antérieure, l’auraient partagée en divisant leur propre substance. Et cette Confession de foi, qui fut alors pieusement rédigée, nous allons aussi l’insérer maintenant dans notre exposé, non sans piété :
 
"Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, né du Père, Fils unique, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu issu de Dieu, lumière issue de lumière, vrai Dieu issu du vrai Dieu, engendré, non pas créé, consubstantiel au Père, ce que les Grecs appellent homoousion, par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et sur la terre ; qui, pour notre salut, est descendu, s’est incarné, s’est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, doit venir juger les vivants et les morts. Et [nous croyons] en l’Esprit Saint.
Quant à ceux qui disent : “Il fut un temps où il n’était pas”, et : “Avant de naître, il n’était pas”, et qu’il a été fait à partir de ce qui n’existait pas, ou d’une autre substance ou essence, ou qu’il est sujet au changement ou à l’altération — l’Église catholique les anathématise."
 
Ce concile très saint de ces hommes pieux n’introduit donc pas je ne sais quelle substance antérieure, divisée en deux, mais [enseigne] que le Fils est né de la substance du Père.
Est-ce que, de notre côté, nous le nions ? Ou bien confessons-nous autre chose ?
Et après les autres formulations de la foi commune, il est dit : "Engendré, non pas créé, consubstantiel au Père", ce que les Grecs appellent homoousion.
Où se trouve ici l’occasion d’une compréhension erronée ? Il est affirmé que le Fils est né de la substance du Père, et non pas qu’il a été fait, afin que la naissance de la divinité ne soit pas une fabrication de créature. C’est pourquoi on dit "de même substance" : non pour signifier qu’il subsiste seul ou de manière unique, mais pour dire qu’étant né de la substance de Dieu, il ne subsiste pas autrement, ni dans une diversité de substance dissidente.
Or n’est-ce pas là notre foi aussi, que [le Fils] ne subsiste pas autrement, ni qu’il subsiste d’une manière dissemblable ? Que signifie ici homoousion, sinon que la nature des deux est une et semblable selon la génération, parce que l’essence du Fils ne vient pas d’ailleurs ? Et puisqu’elle ne vient pas d’ailleurs, il est juste de croire que tous deux sont d’une seule essence, puisque le Fils ne tient sa substance de naissance que de la nature paternelle en tant qu’autorité.
 
(85) Mais on dira peut-être, à l’inverse, qu’il faut rejeter ce mot "homoousion" justement parce qu’il est souvent mal compris.
Si c’est cela que nous craignons, alors supprimons de l’Apôtre ce qu’il a dit : "Il y a un médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ"[8], puisque Photin l’utilise à l’appui de son hérésie : cessons donc de le lire puisque lui le comprend mal.
Que l’épître aux Philippiens disparaisse aussi, soit par le feu soit par l’éponge, pour que Marcion n’y relise pas : "Il a été trouvé comme un homme par son apparence"[9], lui qui affirme qu’il s’agit d’une apparence de corps et non d’un vrai corps.
Que l’Évangile de Jean n’existe plus, de peur que Sabellius n’y apprenne : "Moi et le Père, nous sommes un"[10].
Que ces gens, qui proclament que le Fils est une créature, ne trouvent plus écrit : "Le Père est plus grand que moi"[11].
Que ceux qui veulent affirmer que le Fils est dissemblable du Père ne lisent plus : "Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul"[12].
Que les livres de Moïse disparaissent aussi, de peur que les ténèbres soient contemporaines de Dieu, qui habite une lumière inaccessible, puisque dans la Genèse le jour commence après la nuit[13] ; de peur que les années de Mathusalem dépassent l’époque du déluge[14], et que ce ne soient pas seulement huit âmes qui aient été épargnées[15] ; de peur que Dieu, entendant le cri de Sodome pleine de péchés, descende comme s’il ignorait ce que signifie ce cri, et que Dieu apparaisse ne pas savoir ce qu’il sait[16] ; de peur qu'une des personnes qui l'a enterré ne connaisse la sépulture de Moïse[17] ; de peur que, comme pensent les hérétiques, la Loi elle-même ne se contredise par tous ces éléments divers.
 
Ainsi, puisque ces choses ne sont pas comprises par eux, il faudrait qu'elles ne soient plus lues par nous ? [A ce compte,] qu’ils périssent aussi, si cela semble bon (ce que je ne dis pas moi-même, mais ce que la nécessité de la réponse exige), tous ces divins et saints Évangiles du salut humain, de peur que les paroles ne se combattent entre elles par des opinions opposées : de peur que, devant envoyer le Saint-Esprit, le Seigneur soit lui-même dit être né de l’Esprit Saint ; de peur qu’annonçant à ceux qui font usage de l'épée qu'ils en mourront, il fasse acheter une épée avant sa passion[18] ; de peur que, devant descendre aux enfers, il soit avec le larron au paradis[19] ; et enfin, que les apôtres soient trouvés en faute, eux qui, envoyés baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ont baptisé seulement au nom de Jésus[20].
Je parle ici pour vous, frères, qui êtes de la Parole, vous qui ne vous nourrissez plus de lait, mais êtes capables d’une nourriture solide : Est-ce que, parce que les sages de ce monde ne comprennent pas ces choses et les tiennent pour folles, nous devrions devenir "sages" à leur manière et les tenir nous aussi pour folles ? Et parce que ces choses sont obscures pour les impies, ne brillerons-nous pas, éclairés par la vérité de la doctrine ?
On juge mal des choses saintes si, parce que certains ne les tiennent pas pour saintes, elles ne doivent plus l’être. Ou alors, ne nous glorifions donc pas dans la croix du Christ, puisqu’elle est un scandale pour le monde ; et ne prêchons pas la mort du Dieu vivant de peur que les impies n'accusent Dieu d'être mort[21] !
 
(86) Homoousion peut être compris de travers ? Qu’est-ce que cela me fait, à moi qui le comprends bien ?
Certes, Paul de Samosate a mal confessé homoousion : mais est-ce que les Ariens en le niant ont mieux fait ? Quatre-vingts évêques ont rejeté ce terme autrefois ; mais trois cent dix-huit[22] l’ont adopté récemment. Et pour moi, ce nombre est saint, car c'est par ce nombre qu'Abraham fut vainqueur des rois impies[23] et reçut la bénédiction de celui qui est figure du sacerdoce éternel.
Les uns ont rejeté ce terme homoousion face à un hérétique : mais les autres ne l’ont-ils pas confessé contre un autre hérétique ? L’autorité des anciens est grande : mais la sainteté des récents est-elle négligeable ?
S’ils ont pensé les uns contre les autres, nous devons juger et approuver ce qui est meilleur ; mais s’ils ont, en l’adoptant dans un cas et en le rejetant dans l'autre établi la même chose, pourquoi renverser ce qui a été bien établi ?
 
Et plein de notes, références liens et autres joyeusetés :
[1] Je viens de trouver une présentation intéressante (je ne l'ai lu qu'en diagonale pour le moment) de ce concile :
https://theologie.blog/concile/oecumenique/2022/01/16/nicee325-partie1.html
[2] C'est à Arius, un prêtre d'Alexandrie certes enthousiaste mais un peu borné et têtu, que revient le déshonneur d'avoir initié ce mouvement qui perdura peu ou prou selon les régions jusqu'au VI° siècle.
[3] Dans les années qui suivirent, d'autres théories furent proposées considérant le Fils et l'Esprit comme des émanations, ou des expressions du Père…
[4] Fournissant au passage toutes les commodités nécessaires, y compris en mettant la Poste impériale à disposition des délégations pour faire le déplacement : nous somme loin des persécutions pourtant pas si lointaines que cela !
[5] Cet étrange "Douias" a posé de grands problèmes, mais il semble que la seule option envisageable soit bien Die,  Dea Augusta Vocontiorum devenue capitale des Voconces au IIe siècle.
[6] De Synodis § 91. Source des extraits de st Hilaire : la "lettre sur les synodes" de St Hilaire de Poitiers (texte latin ici : https://la.wikisource.org/wiki/Liber_de_synodis_seu_fide_orientalium ; traduction anglaise là : https://www.newadvent.org/fathers/3301.htm ). Il existe aussi une traduction française, publiée aux Sources Chrétiennes (SC 621) dont je ne dispose pas.
[7] De Synodis § 88
[8] 1 Tm 2, 5
[9] Ph 2, 7
[10] Jn 10, 30)
[11] Jn 14, 28
[12] Mc 13, 32
[13] Gn 1, 2
[14] Gn 5, 26. Les généalogies des premiers patriarches diffèrent selon qu'on les lit dans le texte hébreu massorétique, dans le texte samaritain ou dans la Septante, en particulier au niveau du nombre des années attribuées à chaque patriarche. Si selon le décompte du texte massorétique et du texte samaritain Mathusalem est mort l'années du Déluge, le décompte que l'on trouve dans la Septante amène le patriarche Mathusalem à mourir quatorze ans après le déluge. Cette "anomalie" a été diversement interprétée dès l'antiquité. Cf : HARL, M : "La Bible d'Alexandrie, Vol 1 : La Genèse", 1986, p 123-124.
[15] 1 P 3, 20
[16] Gn 18, 21
[17] Dt 34, 6
[18] Mt 26, 52
[19] Lc 23, 43
[20] Comparer Mt 28, 19 et Ac 10, 48
[21] Le sns de cette phrase, toute provocante est "Dans ce cas-là, ne parlons pas de la mort du Christ (Le Dieu vivant) de crainte que les impies ne nous accusent de croire en un Dieu mort".
[22] C'est le nombre traditionnel des participants signataires du concile de Nicée.
[23] Gn 14, 14
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