L'art du choix.
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Choisir est parfois un art.
Je ne parle pas de ces choix banals, indifférents, que nous faisons chaque jour et qui n'engage à rien ou presque.
Non, je parle de ces choix qu'il nous faut impérativement faire, qui vont impliquer des conséquences durables, et pour lesquels nous ne savons pas ce qui est le mieux.
Sans doute, on nous dira que notre raison doit choisir, et c'est souvent vrai. Ou notre inclination naturelle… à condition de la connaître. (Ainsi, un proche m'a expliqué qu'au moment de choisir entre deux options lui paraissant également raisonnables, il tirait à pile ou face, et observait immédiatement SA propre réaction au vu du verdict : selon qu'il ressentait soulagement ou dépit, il savait alors ce qu'il allait choisir).
Mais de fait, à choisir seul, il y a risque de se tromper.
Faut-il alors demander conseil ? Certes mais, comme l'on sait, les conseilleurs ne sont pas les payeurs ! Et puis, il y a toujours le risque (peut-être même inconscient) de choisir des conseilleurs dont on connait déjà les opinions, créant ainsi un biais de confirmation.
Peut-être convient-il de prier pour être éclairé ? Bien sûr, mais on se retrouve au final avec une conviction qui peut bien n'être que subjective…
Alors, quoi d'autre ? Diverses voies visant à cumuler sagesse, foi et "hasard divin" ont été envisagées, ou plus exactement mises en œuvre. Et même si elles ont souvent été suspectes aux théologiens – car jugées potentiellement superstitieuses ou proches des pratiques païennes[1] – elles ont connus de beaux jours dans la mesure où elles ont un précédent de taille puisque c'est ce que firent les Apôtres lorsqu'ils durent choisir un remplaçant à Judas (Actes 1.26)
Je vous ai parlé, naguère, de ces "Sorts des Apôtres"[2], recueil de réponses toutes prêtes que l'on choisit au hasard escomptant bien, puisque l'on a soigneusement prié auparavant, recevoir ainsi une direction divine.
Or, la manière dont le disciple Mathias fut nommé apôtre en remplacement de Judas est un peu différente de ce que sont les "Sorts des Apôtres" : on n'a pas choisi au hasard parmi les 120 présents, mais le sort devait départager deux candidats également respectables, également qualifiés : après avoir pesé le pour et le contre, on demandait à Dieu de choisir[3].
Et c'est un peu à cela que correspond la pratique des "Billets couplés" que l'on retrouve à peu près sous toutes les latitudes[4] : on écrit sur un papier une question, et sur un autre papier la question opposée ("Je vais m'installer en ermitage à tel endroit" ou "Je reste au monastère" ; "Je dois entreprendre telle carrière professionnelle" ou "Je ne m'oriente pas dans cette carrière" ; "Dois-je suivre tel traitement pour recouvrer la santé" ou "Dois-je ne pas le suivre" etc.)
La chose se fait dans une église, un sanctuaire, et l'on demande à Dieu d'éclairer notre voie après avoir prié (et souvent jeûné), étant entendu que cette demande vaut engagement à suivre la réponse obtenue.
Et probablement que, réalisée de manière encadrée et parcimonieuse, cette pratique pouvait s'insérer dans une vie chrétienne normale.
Non, décidément, choisir n'est pas toujours simple…
NB : L'image en illustration est un de ces "billets couplés" (sauf qu'il manque l'autre) trouvé en Antinoë, en Egypte en 2017. Je l'ai emprunté à l'ouvrage "Christian Divination in Late Antiquity" de de R. Wiśniewski, 2020, p 159.
[1] En fait, ce sont surtout les risques de retomber dans des pratiques divinatoires par la consultation d'esprits, de défunts ou de possédés… éventuellement même dans des sanctuaires chrétiens qui sont formellement rejetées.
[2] Les "sortes apostolorum", aussi appelés "sortes sanctorum", les "Sorts des Saints".
[3] Notons que c'est bien ainsi que le patriarche copte Tawadoros II a été désigné en 2012 parmi les trois candidats retenus après plusieurs tours de vote restreint : un enfant de huit ans, les yeux bandés (donc une "main innocente), a tiré son nom au sort.
[4] On en trouve des traces dans l'Egypte byzantine, chez Cassien, au Synode de Vannes (465), chez Grégoire de Tours, chez Anne Comnène, dans l'Eglise d'Irlande…