Avec des images

Publié le par Albocicade

 

 
"Le grandement vertueux Alopen, du royaume de Ta-ts'in, prenant au loin ses livres saints et ses images, est venu les offrir à la capitale suprême."
Voila ce que l'on lit[1] sur une stèle fameuse dans le monde entier, et qui se trouve en Chine.
Fameuse, cette stèle parce qu'elle relate l'arrivée d'un chrétien syrien[2] et les débuts du christianisme[3] en Chine, sous les auspices de l'empereur Tang Taizong.
De plus, la stèle précise que – au moment où elle a été rédigée – le patriarche de l'Eglise était Henanisho. Or cet Henanisho, deuxième à porter ce nom, était catholicos-patriarche de l'Eglise syro-orientale… que l'on appelait alors "nestorienne"[4].
Et là, cela semble coincer un peu.
En effet, on sait – depuis les ouvrages du Révérend Badger[5] – l'aversion profonde des "Nestoriens" pour les images, icones et autres représentation religieuses. En effet il écrit : "Les Nestoriens n’ont ni images ni représentations dans leurs églises, et sont très opposés à leur utilisation, même comme ornementation ou pour représenter par l'illustration des faits historiques de la sainte Écriture. Ils ne s'autorisent pas même un crucifix, et considèrent la simple exposition d'un tel emblème, sans même parler de vénération, comme une iniquité monstrueuse".
La chose semble pliée. Pourtant le témoignage du bon révérend Badger, pasteur missionnaire protestant du XIX° siècle ne saurait dire le tout de cette église pluriséculaire.
Et ceux parmi vous qui depuis des années lisez avec assiduité mes bavardages sans en perdre une miette s'en souviennent sans doute, j'ai mis en ligne il y a quelques années un dialogue entre un moine syro-oriental et un dignitaire musulman ayant eu à faire une halte prolongée dans le monastère de Beth-Halé aux alentours de 720, c’est-à-dire, grosso-modo, dans la période qui concerne notre stèle syro-chinoise[6].
Or, dans ce texte qui – rappelons-le – avait moins pour objet de convaincre d'éventuels lecteurs musulmans de changer de religion que de conforter les lecteurs et auditeurs chrétiens, en l'occurrence syro-orientaux, dans leur foi, sans se laisser troubler par l'invasion dominatrice des tenants de la nouvelle religion, l'interlocuteur musulman reproche par deux fois aux moines (§9, réitérée § 37) de se prosterner devant des images, et les croix, et les ossements des martyrs. Or face à ce reproche, le moine n'anticipe pas Badger, mais précise d'abord (§46-47) que "à partir du moment où nous savons avec certitude que notre Seigneur est le Fils de Dieu, quand nous le reconnaissons comme Seigneur et Sauveur et Juge, nous devons faire tout ce qu'il nous commande. Et nous nous prosternons devant son image parce qu'il l'a imprimée avec son visage et nous l'a donnée, et lorsque nous regardons son icône, c'est lui que nous voyons. Et nous honorons l'image du roi à cause du roi", avant de continuer à propos de la vénération de la Croix et des martyrs.
Plus loin (§50), il conclut brièvement ces questions : "Aussi, pour résumer, en toute notre adoration, qu'elle soit devant les icônes ou devant la croix, comme aussi le fait que nous trouvions refuge auprès des martyrs – toutes choses auxquelles nous tenons – c'est le Christ leur Seigneur que nous adorons, et par nos demandes aux membres de sa maisonnée nous faisons nos offrandes."
 
Alors oui, il me semble que le fait que la stèle de Xi'an mentionne que les premiers chrétiens syro-orientaux soient venus avec des images est à verser au dossier de l'iconographie dans l'Eglise syro-orientale, avec aussi les fresques de Qocho[7] ou l'image/icone sur soie[8] rapportée par Stein de Dunhuang…  
 
L'illustration de ce billet provient du manuscrit BNF Syriaque 344. NB : Cette illustration et les autres de ce manuscrit, sont l'oeuvre de l'enlumineur arménien Parsam. Elles semblent avoir été jointes à un évangéliaire du Patriarcat chaldéen de Mossoul  (Ms syr n° 15, même si l'identification n'est pas absolument certaine) avant d'être offertes à la BNF en 1909 par Mgr Addaï Scher.
 
Et des notes, avec même des liens, à foison !!!
 
[1] Traduction de Paul Pelliot. En vrai, on lit "大秦國大德阿羅本 遠將經像來獻上京", mais j'ai préféré vous faciliter la tâche. Notons de suite que Alopen 阿羅本, que l'on prononce maintenant Āluóběn, correspond probablement au nom persan Artaban.
[2] Syrien, puisque le Ta-tsin (大秦), que l'on prononce de nos jours Dà qín, équivaut à désigner le "Grand Occident" qui recouvre tout aussi bien l'Empire romain que la Syrie, mais que la stèle comporte en outre diverses inscriptions en syriaque.
[3] La religion chrétienne est nommée 景教 Jǐng‑jiào, religion lumineuse (ou "religion de la lumière", ou "doctrine brillante"…) sur cette stèle et dans d'autres documents chrétiens de cette époque
[4] A ce propos, l'étude de Sebastian Brock "The 'nestorian' church: a lamentable misnomer" (accessible ici) est tout à fait pertinente.
[5] "The nestorians and their rituals, with the narrative of a mission to Mesopotamia and Coordistan in 1842-1844", vol 2, 1852, p 132 ss
[6] Le décret d'autorisation du christianisme apporté par d'Aluoben date de 638, mais la stèle qui rapporte cette autorisation a été érigée en 781.
[7] J'ai placé la plus complète sur ce billet.
[8] Article wikipedia la concernant.
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