Panem et pisces

Publié le par Albocicade

Bon, je sais, le titre de ce billet pourrait sembler une facilité, eu égard au titre du billet précédent. Cependant ce n'est pas tout à fait le cas, puisque je l'avais en tête avant.
Pour tout dire, recevant il y a quelques semaines un ami de longue date, ayant grandi dans le milieu pentecôtiste mais ayant depuis rallié une paroisse de l'Eglise réformée (pardonnez-moi, de l'EPUF !) avec des tendances libérales, nous discutions un instant du passage des Evangiles relatant la "Multiplication des pains"[1].
Sans surprise il me servit la théorie que, "émus par l'exemple du jeune garçon[2] qui offrait ses cinq pains et ses deux poissons[3], les autres participants avaient eux aussi sorti leurs provisions et avaient partagé avec ceux qui n'avaient rien" ; théorie qui lui a été enseignée lorsqu'il suivait des cours de théologie par correspondance.
Lorsque je lui fis remarquer que cette interprétation ne rendait pas justice au texte (qui affirme positivement que Jésus après avoir béni et rompu les pains les donnait aux disciples qui les portaient aux auditeurs affamés), et que ce serait prendre les apôtres pour de vrais crétins que de prétendre qu'ils ne se seraient rendus compte de rien (en effet, s'ils ont raconté l'épisode suffisamment de fois pour qu'il soit consigné par tous les évangélistes, c'est bien qu'ils y croyaient), il me demanda alors : "Bon, mais comment tu expliques ce texte ?"
Ma réponse : "Je ne l'explique pas. Un tel récit me dépasse. Ceci dit, je préfère reconnaître mon incapacité à l'expliquer plutôt que de me hasarder à faire une explications aussi incohérente" ne le satisfit pas. C'est pourtant la seule que je puisse honnêtement faire. D'ailleurs, ce texte n'est pas le seul qui me laisse dans l'incapacité de commenter.
Il se trouve que, une ou deux semaines plus tard, un familier pour qui j'ai autant de respect que d'affection a dû prêcher sur ce texte dans sa paroisse, et comme nous étions sur place, nous l'avons écouté. Moins imprudent que mon ami cité plus haut et que les théologiens libéraux qui lui ont susurré son explication, le prêcheur d'un jour n'a pas affirmé ex cathedra que le miracle n'avait pas eu lieu. Toutefois, après avoir laissé entrouverte la porte de la possibilité du miracle, il a proposé une lecture alternative qu'il a développée… et c'était la même "explication", celle des gens qui finalement sortent leurs provisions. Qu'il daigne ne pas m'en tenir rigueur, mais je pense que c'était une erreur de perspective. Oh, bien sûr, il n'a eu que des éloges des paroissiens venus écouter son prône si clair, si bien construit (ce qui, j'en conviens volontiers, est vrai), mais personne n'a semblé voir que parler ainsi c'est faire sortir du texte, c'est en faire un prétexte à causer.
Pourtant, il est beau ce texte, et sa portée n'est pas négligeable, comme j'en avais touché un mot il y a quelques années.
Mais sans doute sommes-nous, dans une société sécularisée, si envahis par un monde sans dieu qu'il convient de l'escamoter même de notre lecture des évangiles.
Pour ma part, si je devais parler sur ce texte, j'avouerais que l'événement qu'il relate me dépasse, mais que je reconnais aux apôtres un avantage sur moi : ils étaient sur place, et moi non. Puis j'admettrais que je n'ai jamais été témoin de miracle comme celui-là, mais qu'à tout prendre, cela ne prouve rien : il y a tant de choses que j'ignore, que je ne sais expliquer…
Enfin, ayant reconnu que rien ne m'autorise à démolir ce texte, sauf à me placer (moi pauvre bougre à cheval sur les XX° et XXI° siècles après Jésus) au-dessus des Apôtres qui ont témoigné du Christ ressuscité (un autre miracle que je n'explique pas !) jusqu'à mourir martyrs ; je me hasarderais à devoir tirer une application concrète de ce texte.
Et peut-être que cette application concrète, c'est qu'étant incapable de multiplier des pains pour les affamés, il ne me reste plus qu'à partager avec eux le pain que j'ai… chose que par ailleurs Jésus a aussi enseigné.
 

[1] Je devrais dire "des passages", puisque ceci est relaté en Matthieu, chapitre 14, versets 14 à 21, puis à nouveau 15, 32-38 ; Marc 6, 34-44, puis à nouveau Marc 8, 1-9 ; Luc 9, 12-17 ; Jean 6, 5-14.
[2] Jeune garçon qui n'est mentionné que dans un seul des six récits des miracles…
[3] Vous aurez compris, j'en suis bien certain, que "panem et pisces" du titre c'est du latin, pour parler "des pains et des poissons" qui ont été distribués.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article