Une rose et un balai.

Publié le par Albocicade

Il n'est guère dans mes habitudes de me raconter dans mes divers gagne-croûtes. Juste, parfois, une allusion, la plupart du temps assez absconse. Cependant, au cours des derniers mois, je me suis retrouvé à arpenter les rues du village d'à côté, à la recherche du papier gras, de la crotte de chien, de la canette de bière vide traînant sous un banc. Un contrat de 7 mois, au sein des services techniques. Missions prioritaires : nettoyer les wc publics et les zones de dépôts de poubelles de la commune. Pas très enthousiasmant, n'est-il pas ?
Pourtant, à peine avais-je commencé ce travail que trois personnes au moins me demandèrent si j'avais lu le livre si extraordinaire du "cantonnier-philosophe-suisse". A les entendre, ce brave Helvète avait choisi ce cette profession par vocation, à cause de la haute valeur humaniste qu'elle recèlerait. Je les refroidissais vite, leur faisant remarquer que dans mon cas il ne s'agissait pas d'une "profession", mais tout au plus d'un emploi, précaire qui plus est. Au fond, sans déprimer tout à fait, je résumais mes journées par une formule d'une triste ironie : "Je nettoie des chiottes, et c'est ma joie"[1].
Non, vraiment, je ne trouvais guère de raison d'apprécier mon occupe-temps salarié, malgré le fait que parmi mes collègues je côtoyais des gens de qualité.
Il fallut toute la délicatesse d'un théologien bien de chez nous, avec qui j'échangeai quelques missives, pour que peu à peu je parvienne à ne plus vivre cet emploi comme un crève-cœur.
Puis, le contrat prit fin, comme prévu.
Je quittai les collègues pour d'autres activités.
Quelques temps plus tard, je reçus un appel de mon ancien chef, me signalant qu'un usager avait laissé une enveloppe pour moi.
Je récupérai donc le paquet : c'était le fameux livre du cantonnier suisse qu'une personne, croisée lors de ma mission nettoyante, avait décidé de me prêter !
Hé bien, croyez-le ou non, il s'en sort pas mal, le balayeur zurichois ! Et si je lis son livre lentement, c'est qu'il mérite d'être pris petit à petit. J'aime sa manière d'employer des mots choisis, et je me revois tentant d'expliquer à un bon collègue, peu enclin à la lecture une citation grecque sur la façade d'une maison devant laquelle il passe quotidiennement, et qu'il n'avait jamais remarquée.
Intellectuel du balais, Michel Simonet mélange les registres de langage, aime à piéger ses phrases, et si un des ses poèmes est intitulé "Tonneau verlan", c'est juste parce qu'il parle de l'Automne…
Et bien sûr, j'ai partagé certaines des situations qu'il décrit, même si je n'ai jamais accroché de rose à mon chariot (l'idée ne m'en serait d'ailleurs jamais venue)…
Bref, un petit livre que je trouve attachant, pas seulement par solidarité de classe!
Peut-être l'aimerez-vous aussi ?
Donc "Une rose et un balai", de Michel Simonet. (Notez que mon exemplaire a une couverture toute différente de celle que j'ai mise en illustration)
Au fait, il va falloir que je le rende, "mon" exemplaire, à sa propriétaire dès que je l'aurai fini.
 
Note
[1] Certains auront peut-être senti l'allusion à la BD "Léonard", dans laquelle le disciple du grand inventeur se trouve confronté aux multiples erreurs du "maître", et termine souvent ses mésaventures par cette phrase "Je sers la science, et c'est ma joie".

Publié dans Vie quotidienne

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