Brave bête ou sale bête ?

Publié le par Albocicade

Depuis maintenant bien des années, de temps à autres du moins, je vous parle de la cigale. L'origine de ce choix se trouve dans une homélie grecque qu'un excellent ami avait traduit pour moi, à l'occasion du baptême de ma seconde fille.
Il faut dire que l'auteur de l'homélie, un certain Astérios, en fait pour l'occasion un symbole du nouveau baptisé (souvenez-vous, j'avais mis le début du texte ici !)
 
Et dans ce contexte, les cigales chantent :
"Seigneur, notre Seigneur,
que ton nom est magnifique sur toute la terre !"1
Pour les Anciens, la cigale se nourrit de rosée, voire même simplement d'air, et Astérios de remarquer que
"ce que la rosée est pour les cigales,
la Parole céleste l'est pour les nouveaux baptisés",
tandis que de son côté St Ambroise de Milan note :
"plus l’air qu’elles absorbent par l’esprit est pur
et plus clairs résonnent leurs chants"2.
Magnifique, n'est-ce pas ?
Mais faut-il pour autant considérer que la cigale serait toujours et quoi qu'il arrive un modèle de vertu ? Ce serait sans doute excessif, voire même une telle idéalisation serait potentiellement désastreuse.
De fait, le Physiologue3 avait déjà noté que les animaux, considérés sur un plan allégorique ou typologique, peuvent présenter tantôt un caractère louable, tantôt un caractère blâmable.
Et le même Ambroise – qui n'est pas un naïf – n'hésite pas à parler dans un autre texte4 de ces cigales dont les stridulations ne sont qu'un chant nuptial, et qui ne survivent pas à l'été. Comme il le note, elles se nourrissent "d’un air bien lourd de désirs ; elles vivent au jour le jour puis crèvent de leur plainte. Les hommes sans discipline sont bien des cigales, nés pour la mort dans la journée, crépitant plutôt que parlant ; dans l’ardeur des désirs brûlants, ils se gargarisent d’un chant qui leur est nocif et tombent aussitôt, sans porter de fruits, dépourvus de toute grâce".5
 
Bon, en vrai, il ne faudrait pas reprocher à la cigale ce qu'elle est naturellement au prétexte d'une analogie ou d'un symbolisme. Juste retenir l'une et l'autre interprétation, et en faire son profit...
 
Notes
1Cf Psaume 8. Il faudra bien qu'un jour je me décide à rendre accessible ce texte dans son intégralité !
2Ambroise : Hexaemeron 5.22
3Du moins dans le "Physiologos" grec tel qu'édité et traduit par Zucker, de même que dans le "Physiologus" latin traduit en anglais par Curley, à chaque fois sur la notice sur le "charadrios". Je n'ai pas retrouvé cette précision expressément exprimée dans les versions arménienne ou arabe que je vous avais partagées. Notons, par ailleurs, que la cigale ne fait pas partie des animaux mentionnés dans le Physiologue.
4Ambroise, Lettres, 28, 5. A ma connaissance, il n'y a pas de traduction française récente des Lettres de St Ambroise (il y a un projet en 8 volumes aux Sources chrétiennes, mais il y a loin d'un projet à une réalisation). Ceci étant, il existe une très anciennee traduction (1746, tout de même !) disponible sur Google books : Tome 1 (lettre 1 à 20) : Tome 2 (lettres 21 à 49) et Tome 3 (lettres 50 à 91).
5Cité dans un article d'Arnaud ZUCKER : "Morale du Physiologos : le symbolisme animal dans le christianisme ancien (IIe-Ve s.), Rursus 2 2007 ici : https://journals.openedition.org/rursus/142
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article