De Noé et de son arche
/image%2F0734278%2F20230117%2Fob_c138fa_noe-a.jpg)
Nombreux aussi savent que l'antique littérature babylonienne, qui se copiait sur des tablettes d'argile au moyen d'une écriture cunéiforme, connaissait un récit de ce genre, antérieur au récit biblique, et dont nombre de détails diffèrent du récit biblique. Encore là, soit.
Quoique…
En fait, il n'existe pas "deux" récits du déluge, mais quatre, dont celui de la Genèse est le plus récent, quatre récits dont certains détails évoluent au fil des siècles, des changements de langue, des contextes.
Et cette évolution n'est pas dépourvue d'intérêt.
A. Le plus ancien de ces textes est le récit d'Atra-Hasis, connu par plusieurs tablettes fragmentaire.
Au début du récit, les "dieux inférieurs" (qui bossent comme des esclaves pour les "dieux supérieurs) décident de se mettre en grève, et détruisent leurs outils. Menacés de famine, les "dieux supérieurs" se voient contraints de trouver une alternative et créent les humains. Las ! Ces derniers se multiplient et font tant de bruit qu'ils importunent les "dieux supérieurs", les empêchant même de dormir, de sorte que les "dieux supérieurs" finissent par s'accorder dans le plus grand secret sur le fait qu'il faut détruire les humains. Un "dieu supérieur" avertit cependant un homme, Atrahasis ("le Très-sage"), de construire un gish-magurgur, c'est-à-dire un immense bateau en forme de pirogue fermée dans laquelle il chargea ses biens et des animaux…
B. Une autre tablette, récemment traduite, ne donne que le récit de la construction de "l'arche" d'Atra-Hasis, mais avec un luxe de détail étonnant. Surtout que ce navire est de base… circulaire, comme un immense coracle.
C. Le récit sumérien nomme son héros Ziusudra (Vie de jours lointains). Le texte étant fortement mutilé, on ignore les raisons qui poussent les dieu à détruire l'humanité.
D. Dans le document le plus connu, l'épopée de Gilgamesh, le récit du déluge est comme une annexe, un épilogue, aux aventures du roi d'Uruk. Dans la tablette XI, on lit qu'effondré par la mort de son ami Enkidu, Gilgamesh veut obtenir l'éternité à l'instar d'Uta-Napishtim, l'homme qui a survécu au déluge et qui vit pour toujours à l'écart du monde, et pour ce faire part à sa recherche. Lorsqu'il le trouve enfin, Uta-Napihstim lui raconte son aventure.
Comme dans les récits précédents, le dieu qui décide de cafter la décision de destruction dit à celui qu'il a choisi :
Renonce à tes richesses pour te sauver la vie ;
Détourne-toi de tes biens
Pour te garder sain et sauf!
Mais embarque avec toi
Des spécimens de tous êtres vivants…
Là encore, le nom du héros a changé : il n'est plus Atra-Hasis,le "Très-sage", mais Uta-Napishtim , "celui qui a trouvé la vie sans fin". Autre changement, l'arche n'est plus en fuseau ou circulaire, mais carrée, voire cubique. De plus, on ne sait absolument pas quelle mouche a piqué les "dieux" pour qu'ils décident de déclencher le déluge.
E. Vient enfin le récit de la Genèse.
Si certains éléments de la trame du récit se maintiennent, d'autres sont profondément renouvelés.
Les causes du déluge, tout d'abord : là, ce ne sont pas des dieux irascible qui décident de casser la gueule à ces fichus humains trop bruyants en bas de l'immeuble. Non, c'est le Dieu créateur qui, voyant la violence et le mal qui se répand entre les humains, décide de faire table rase de cette société, tout en préservant de quoi la recommencer. Et c'est le même Dieu qui décide le déluge qui prévient aussi un homme pour permettre ce recommencement.
D'autre part, le héros s'appelle Noé (נֹחַ nōa'h) c'est-à-dire "repos", ou "consolation".
Enfin, la description de l'arche lui donne une base rectangulaire. Cette forme a pu sembler étrange, mais elle correspond en fait à un type de barque qui se fabriquait sur les bords de l'Euphrate jusqu'à la fin du XIX° siècle.
Si l'envie vous taquine de vouloir en savoir un peu plus sur cette question, et la manière dont elle est étudiée, il y a toujours le livre de Jean BOTTERO : "Lorsque les dieux faisaient l'homme", 1993 (dont une copie se trouve ici) ; et plus récent celui d'Irving FINKEL (conservateur adjoint au British Museum) : "L'arche avant Noé", 2015 (édition anglaise ici).