Ou à la Trinité…
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C'était il y a bien longtemps, du temps de mon école primaire.
A quel propos notre institutrice avait-elle trouvé opportun d'évoquer la figure du duc de Malborough, et la chanson ironique – devenue comptine – qui lui est associée, je serais bien en peine de m'en souvenir.
Toutefois, une remarque qu'elle fit alors sur le deuxième couplet me laissa une impression durable.
Rappelons donc le texte. Une fois que l'on a dit que "Malbrough s'en va-t-en guerre" et qu'il "ne sait quand reviendra", on chante :
Il reviendra (z') à Pâques
Mironton, mironton, mirontaine
Il reviendra (z') à Pâques
Ou à la Trinité.
Ou à la Trinité (×2)
Ce jour là, elle nous expliqua que "à Pâques" faisait référence à la fête de Pâques, c'est-à-dire à une date identifiable, qui permettait une attente raisonnable, tandis que "à la Trinité" était un équivalent de "on ne sait pas quand", voire même de "jamais" - un peu à la manière de "à la saint Glinglin" - dans la mesure où il n'y a pas de fête de la Trinité chez les chrétiens.
A l'époque, ignorant tout du christianisme et de ses manifestations, j'acceptais le propos professoral.
Mais voila… cette explication bien crédible était basée sur une erreur : il existe bien un dimanche de la Trinité, qui est – dans la tradition occidentale, dans laquelle s'insère notre chanson – le dimanche après la Pentecôte.
Autrement dit, le bon "Malbrough" comptait revenir pour Pâques, ou au pire, juste après la Pentecôte.
Quel est donc l'intérêt de cette anecdote, s'il en est un ?
Pas grand-chose, juste une réflexion.
J'entends souvent parler du manque flagrant de culture religieuse des jeunes actuels, qui seraient de ce fait dans l'incapacité de comprendre les œuvres d'art (et en particulier les tableaux accrochés dans les musées) dont le sens leur échappe, puisqu'ils sont dans l'incapacité de relier ce qu'ils voient à un récit, une histoire. C'est sans doute vrai.
Le problème, c'est que cela ne date pas d'hier : l'exemple donné plus haut remonte au début des années 1970, et manifestement notre institutrice, pourtant excellente par ailleurs, était elle-même démunie pour comprendre une simple comptine.
Où trouver la source de cette méconnaissance ?
Je me gardera bien d'élaborer la moindre théorie, mais puisque je me suis dernièrement retrouvé devant "La gloire de mon père", de Pagnol, je ne considère pas inopportun de citer ce qu'il écrit, au début du deuxième chapitre :
Les Écoles normales primaires étaient à cette époque de véritables séminaires, mais l’étude de la théologie y était remplacée par des cours d’anticléricalisme.
On laissait entendre à ces jeunes gens que l’Église n’avait jamais été rien d’autre qu’un instrument d’oppression, et que le but et la tâche des prêtres, c’était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau de l’ignorance, tout en lui chantant des fables, infernales ou paradisiaques.
La mauvaise foi des « curés » était d’ailleurs prouvée par l’usage du latin, langue mystérieuse, et qui avait, pour les fidèles ignorants, la vertu perfide des formules magiques.
La Papauté était dignement représentée par les deux Borgia, et les rois n’étaient pas mieux traités que les papes : ces tyrans libidineux ne s’occupaient guère que de leurs concubines, quand ils ne jouaient pas au bilboquet ; pendant ce temps, leurs « suppôts » percevaient des impôts écrasants, qui atteignaient jusqu’à dix pour cent des revenus de la nation.
C’est-à-dire que les cours d’histoire étaient élégamment truqués dans le sens de la vérité républicaine.
Je n’en fais pas grief à la République : tous les manuels d’histoire du monde n’ont jamais été que des livrets de propagande au service des gouvernements.
Les normaliens frais émoulus étaient donc persuadés que la grande Révolution avait été une époque idyllique, l’âge d’or de la générosité, et de la fraternité poussée jusqu’à la tendresse : en somme, une explosion de bonté. Je ne sais pas comment on avait pu leur exposer – sans attirer leur attention – que ces anges laïques, après vingt mille assassinats suivis de vol, s’étaient entre-guillotinés eux-mêmes…