Isaac, ou "vivre quand même"

Publié le par Albocicade

 

Il y a quelque chose de paradoxal, chez le patriarche Isaac [en hébreu  יצחק  Itsrhak ] : à la fois très connu, et en même temps quelque peu terne, voire évanescent.
Oh, bien sûr, nombre d'épisodes de sa vie, racontés en Genèse  chap 24 à 27, sont bien connus : que ce soit l'annonce de sa naissance lorsque les "trois visiteurs" se présentent chez le vieillard Abraham ; l'épisode terrible où son père l'emmène au sommet d'une montagne en vue de l'offrir en sacrifice à Dieu (mais, -- Attention, spoiler -- il en revient bien vivant) ; son mariage avec Rébecca qu'un serviteur d'Abraham est allé cherché en Mésopotamie pour son maître ; la naissance de ses fils Esaü et Jacob ; ses démêlés avec les habitants du pays et finalement la bénédiction qu'il veut donner à Esaü et que Jacob reçoit suite à une tromperie.
Mais, au final, Isaac est annoncé, il est lié puis délié, il est marié et sa femme a des enfants, il est en butte aux tracasseries de voisins peu bienveillants, et finalement, il est trompé par son fils... Isaac : une vie plus subie qu'agie ; pas grand-chose à voir avec les aventures d'Abraham ou de Jacob.
Le nœud de cette histoire, de cette "passivité" aussi, me semble être précisément l'épisode traumatique de la ligature d'Isaac. En effet, de même que Jacob est resté boiteux  après son "combat avec l'Ange" (Genèse 32), de même Isaac a conservé du moment où il s'est vu prêt à être sacrifié à Dieu par son père une terreur rétrospective qui l'a quelque peu freiné dans sa capacité à s'impliquer dans sa vie, sa capacité à construire son avenir.
Certains trouveront sans doute que je brode, que j'extrapole, faisant de la psychologie à deux sous.
Peut-être... quoique...
Lorsque Jacob, après avoir travaillé pour son oncle Laban, en Mésopotamie, après s'être copieusement marié[1] et avoir eu une abondante marmaille, après s'être en outre constitué un important cheptel et que ça commençait un peu à sentir le roussi pour lui, repart en cachette pour son pays d'origine, il est poursuivi par son oncle-et-beau-père-et-employeur Laban.
L'entrevue est houleuse, mais finit par s'apaiser par un serment réciproque[2].
Or, durant cette entrevue, et dans le serment qui la conclut, se trouve une expression qui me semble caractéristique : Dieu est nommé par Jacob "Parhad Ytsrhaq" (פחד יצחק), c'est-à-dire précisément "la Terreur d'Isaac"[3]. Le pauvre Isaac n'a jamais pu se défaire entièrement de ce qu'il a vécu ce jour là.
Et je trouve juste que, même s'il ne fut pas un héros, il soit nommé parmi les Patriarches : au final, puisque chacun aura eu un vécu différent de la relation à Dieu, chacun peut nous apprendre quelque chose de différent. Car comme le dit Dieu à Moïse, au buisson ardent, et comme le rappelle Jésus : Dieu est "le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob"[4].
 
Des notes.
[1] Genèse 29.21-30 Il a tout de même épousé Lia (bon, il n'a pas fait exprès) et Rachel, et a eu des enfants de ses deux épouses… et de leurs servantes.
[2] Genèse 31. C'est ce serment entre Jacob et Laban qui est illustré dans l'image du haut.
[3] Genèse 31 42 et 31.53. On peut traduire Parhad  (פחד) par Terreur, frayeur, crainte…
[4] Voir Exode chap 3, et Matthieu 22.31-32.
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