Manière de dire.

Publié le par Albocicade

L’autre jour[1], une amie devait emmener son fils ado et autiste pour un rendez-vous chez l’orthophoniste. Mais entre rue coincée par une livraison et carrefour bloqué par la maréchaussée, elle a dû rebrousser chemin, tandis que le fiston faisait une crise carabinée.
Une semaine qui commençait mal, en gros, pas de quoi faire de la littérature.
Quoique…
Ceux qui – admiratifs ou agacés – ont lu les "Exercices de style" de Raymond Queneau le savent : il y a bien des manières de raconter une situation, fut-elle banale.
Et voici comment cette amie narra[2], peu après, ce rendez-vous inabouti :
 
Lorsque parut la fille du matin, l'Aurore aux doigts roses,
le splendide Bartolomé aux pieds d'argent et moi-même
nous élançâmes pour visiter l'orthophoniste aux paroles ailées.
Quel aède, sur la terre, nous dira cette geste?
Or donc, nous partîmes confiants en ce que la fille de Zeus aux yeux pers
nous ouvrirait sans coup férir un chemin favorable,
parcourant promptement Mirecourt aux belles portes.
Las, inspiré sans nul doute par quelque daîmon,
un camionneur insolent  bloquait toute la route,
excitant l'impatience des automobilistes au klaxon de cuivre et d'airain.
Rendue divinement audacieuse par l'intervention d'Athéna,
je parvins toutefois à contourner l'obstacle, mais point seule,
deux habiles conducteurs me suivaient.
Parvenant à la sortie de Mirecourt aux mille héros,
hélas, de Charybde en Scylla nous étions passés!
Le rond-point en effet en était bloqué,
non point par les bouviers aux costumes d'or,
mais par des policiers aux têtes casquées.
Il nous fallut, par force, entreprendre de faire demi-tour,
portés par Zéphyr aux vents favorables.
Et le divin Bartolomé, à la patience d'aluminium étiré,
montait dans les tours bien construites.
Et ainsi, donc, commença la divine semaine.
 
Je vous ai naguère parlé des centons, et de celui de Proba Falconia en particulier. Ici, il s'agit plutôt d'un pastiche, mais réalisé avec talent.
 
Un dernier point reste à éclaircir : que faut-il retenir de ce texte ? un hommage à Homère ? Certes, sans doute.
Mais il vaut la peine d'aller un poil plus loin : ce qui est ainsi décrit sous des dehors plaisant est aussi une réalité épuisante, et si je le poste, c'est aussi en "Hommage aux mères…"
 
Deux notes :

[1] En fait, ce texte date de 2019. Il pourrait être intemporel, mais un détail du récit se comprend mieux si on le replace dans l'année en question.
[2] Et MERCI à Mathilde pour m'avoir autorisé à emprunter son texte.

Publié dans Vie quotidienne

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