Mortelles méprises
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Après un peu de temps passé auprès de Dame Proba, je suis retourné faire un tour en Chine, du côté de Xi'an au VIII° siècle (mais ça, je vous en parlerai une autre fois).
Ceci étant, les siècles se téléscopant, je me suis retrouvé à lire un projet d'édit de tolérance en faveur des chrétiens daté de 18441. Ce qui m'a ramené à la période précédente, celle des persécutions.
Mais de quoi accusait-on les chrétiens, sur quoi se basait l'accusation ?
Sur des ragots, des incompréhensions, des méprises.
Ainsi en était-il de la phrase "Que ton nom soit sanctifié, que ton règne arrive…"
Jusqu'à récemment, je ne m'étais jamais avisé que l'on puisse se méprendre sur cette phrase du Notre Père au point de tuer un homme.
C'est pourtant ce qui est arrivé à un magistrat chinois, au début du XIX° siècle chargé d'interroger un prêtre catholique. En effet, ce juge avait entendu dire que les chrétiens, dans leurs prières, en appelaient à la venue de leur Seigneur. Or, la "religion du Seigneur du Ciel" étant avant tout considérée comme celle des occidentaux, le magistrat ne démordait pas d'une certitude : ce "Règne", tant attendu par ces diables d'étrangers qui détournaient les chinois de la religions traditionnelle, était celui des Européens qui viendraient pour s’emparer de la Chine. A cause de cela, le pauvre missionnaire reçut vingt baffes portées avec une plaque de cuir, on le fit rester à genoux sur une chaîne de fer, puis sur des pierres. Et le prêtre eut beau nier constamment l’interprétation insensée du juge, il fut condamné à mort, et exécuté deux ans plus tard, le 24 juin 1817.
Le procès d'un autre prêtre catholique en Chine fit l'objet d'une étrange scène : le mandarin, troublé par des incidents durant le procès, ayant fait revêtir un soldat d'ornements sacerdotaux lui fit parcourir les rues de la ville tenant en main la boîte des saintes huiles et de l’autre une hostie, précédé d’un autre soldat qui criait à la foule : "Médecine des yeux arrachés ! Pain qui drogue les chrétiens !"
Si la deuxième phrase peut assez aisément s'interpréter (après tout, n'accusait-on pas, dans l'Empire romain, les chrétiens de dissimuler un enfant sous de la farine avant de le percer à coups de couteau et d'en dévorer la chair et d'en boire le sang ?2) la première allusion peut sembler obscure.
En effet, quel lien entre l'huile destinée à l'onction des malades, et une histoire d'yeux arrachés ? A priori, le lien est pour le moins ténu, et pourtant, il y en a un.
En effet, lorsqu'un prêtre administre l'Extrême-Onction, il fait des onctions avec un coton imbibé l'huile sainte sur les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, les mains (et les pieds) du malade
Or, en Chine, on accusait les prêtres de dissimuler une aiguille dans le coton, de sorte que lorsqu'ils plaçaient ce coton sur les yeux du mourant, ils les perçaient avec l'aiguille, de sorte que le coton s'imbibait alors de l'humeur vitrée de l'oeil, et les prêtres étaient supposés utiliser ces cotons comme remède3 !
Et cette confusion nourrissait la haine des étrangers, la haine des chrétiens…
Condamné à l'exil, mais maintenu en prison durant plus de deux années, ce prêtre fut exécuté le 11 novembre 1830
Le premier des prêtres dont je parle s'appelait Joseph Yuan, l'autre Thaddée Liu.
Vraiment, il faut se méfier des rumeurs… elle peuvent finir par être mortelles.
Notes :
1Dans le Chinese Depository vol 14, 1845
2Voir, par exemple, dans la § 9 de l'Octavius, de Minucius Felix...
3On trouve cette explication dans ledit volume du Chinese Depository , dans une note de bas de page accompagnant le projet d'Edit de tolérance du christianisme en Chine.