Sonnerie d'été
Cela faisait bien des années que Dame Cigale et moi-même n'étions pas partis "juste à deux" pour quelques jours de vacances. Mais là, les jeunes cigales ayant grandi et pris peu ou prou leur envol, nous avons pris la route pour une région où poussent "blé, vignes et houblon".
Nous étions donc fraîchement arrivés dans cette région si riante, dont les villages parés de fleurs portent des noms imprononçable1, quand le portable de Dame Cigale sonna.
Une voix à l'accent pas du tout local se présente au bout du fil2 : "Bonjour, je suis de l'église orthodoxe russe, vous avez cherché à nous joindre..."
Allons bon, voila autre chose : nous n'avons cherché à contacter personne... à moins que... oui, peut-être, dans l'après-midi, nous cherchions sur internet à voir s'il y aurait quelque paroisse orthodoxe, pour éventuellement aller à des vêpres... se pourrait-il que, par un "clic" involontaire, nous ayons "sonné" à cette paroisse ?
Bref, puisque notre interlocuteur se présentait, nous lui demandons pour des vêpres.
Il répond que oui, bien sûr, mais que si nous étions disponible, et en fonction des calendriers, le lendemain matin il y aurait l'office de la Transfiguration.
"En fonction des calendriers", puisque l'avant-veille j'avais photographié sur le pied d'un des innombrables calvaires en grès ouvragés qui parsèment les villages cette "Sainte face", pour marquer à ma manière la fête du Saint Mandylion.
Mais quoique nous fussions le 18 août, rien n'empêchait que le lendemain soit (à nouveau) le 6.
Aussi, le lendemain matin, nous entrions dans la majestueuse église au toit vert clair et aux coupoles dorées.
Si l'extérieur ne faisait pas chiche, l'intérieur était à la fois grandiose et dépouillé. Grandiose l'architecture, le sol de marbre et mosaïques, l'iconostase, le nombre de servants ; grandiose aussi l'acoustique. Dépouillés les murs d'un blanc immaculé.
J'entre sans problème, mais Dame mon épouse se voit proposer un foulard pour couvrir ses cheveux avec décence. Bon, c'est l'usage ici, pourquoi pas.
Prêtres, diacre et choeur se répondent et les voix portent juste.
Le choeur doit être nombreux, tant les voix sont puissantes sans être écrasantes, mais j'ai beau scruter, je ne le vois pas. Il ne peut pas être derrière l'iconostase, toute de même ! Serait-ce un enregistrement ? En fait, parce que je suis un peu tête en l'air, je l'aperçois : sur une sorte de balcon, surplombant l'assemblée : ce choeur nombreux est composé de quatre personnes.
Toute la célébration est en slavon (mais nous étions prévenus) jusqu'à l'Evangile qui est lu aussi en français. Et là, surprise, le prêtre annonce : "S'il y en a qui ne comprennent pas le russe, il sont priés de s'approcher de telle personne qui traduira en français".
Aussi simple que cela. Bien sûr, nous nous hâtons vers ladite personne, une charmante dame qui fit une traduction simultanée de fort bonne facture de cette homélie... fleuve.
Au moment de la communion, après s'être assurés que nous sommes bien orthodoxe, on nous laisse participer sans restriction.
J'étais un peu inquiet de savoir comment ils géraient la question sanitaire : l'Eglise russe a subi de nombreux décès liés au Covid dans son clergé. L'adaptation est la suivant : tout le monde communie à la sainte cuiller, mais celle-ci est trempée dans de l'alcool entre chaque communiant. Puis, au sortir de la communion, il est d'usage de prendre – en plus du pain béni – un peu d'un vin coupé d'eau. Là encore, adaptation : au lieu d'un verre commun, ce sont des gobelets individuels en cartons.
Alors que s'achève la Liturgie, petite effervescence parmi les servant : on apporte des tables qui sont placées au centre de l'église, puis on y pose des paniers chargées de pommes, raisins et autres bananes. Ah oui, bien sûr ! La Transfiguration, c'est la "deuxième fête du Sauveur", en Août, celle qui est aussi appelée "Sauveur des pommes", puisque c'est l'occasion de bénir les prémisses des récoltes à grand coup d'aspersion d'eau tant sur les récoltes que sur les fidèles.
Quand je pense que trois jours avant, j'en étais déjà au "Sauveur de la Toile"...
Comme quoi, c'est bien de répondre au téléphone, même en été.
Les notes :
1Juste à titre d'exemple, si vous voulez vous rendre au charmant village de Rosheim, il faudra demander la route pour Rossaïm, et non pour "Rochèm"... et là, j'en ai pris un facile.
2Je me rend compte en l'écrivant que cette expression devient furieusement métaphorique, du fait des téléphones "sans fil"...