Notre Dame de Batos
C'est une pratique ancienne dans l'Eglise de placer les lieux de culte sous le vocable d'un saint ou d'une fête, quitte à y adjoindre une précision géographique.
Ainsi, la "Cathédrale de l'Assomption de Trois-Rivières" est-elle – comme son nom l'indique – le siège d'un diocèse catholique1 situé à Trois-Rivières, au Québec. De même le nom de la cathédrale "Notre Dame de Paris" est suffisamment explicite, de même que celui, dans la même ville, de l'église "St Etienne du mont".
Plus obscur, sans doute est le nom de l'église "Notre Dame la Brune" dont je vous avais entretenu il y a quelques temps. Mais dans tous les cas, on a une désignation religieuse flanquée d'une précision géographique permettant de l'identifier.
Mais il y a un lieu, pourtant bien connu, dont le décryptage du nom nous mène encore plus loin : il s'agit du Monastère Ste Catherine du Sinai.
Bon, pour commencer, il faut revenir au nom originel, puisque le vocable de "Ste Catherine" est tardif, datant du VIII° siècle.
Donc, à l'origine ce monastère situé sur l'emplacement (présumé) du "Buisson en feu mais qui ne se consumait pas"2 et par le moyen duquel Dieu s'est révélé à Moïse3 était initialement nommé "du Buisson [ardent]" et dédié à la Mère de Dieu et sa dénomination la plus ancienne était "Μονη της Θεοτοκου της Βατου"4 soit "Monastère Notre-Dame du Buisson"5. Il ne faudrait cependant pas penser que ce soit une double thématique (le monastère situé sur le lieu du Buisson ardent ET dédié à la Théotokos) mais au contraire une seule dénomination.
En effet, le Buisson dans lequel Dieu se cache6 et qui brûle sans être consumé est considéré comme un préfiguration de Marie portant en elle7 le Verbe de Dieu. Autrement dit Moïse prosterné devant le Buisson ardent est prophétiquement prosterné devant le Christ à naître. C'est là la thématique initiale de ce monastère : pas seulement le rappel d'une théophanie vétéro-testamentaire mais le rappel que ce qui a été annoncé dans l'Ancien Testament a été réalisé dans le Nouveau.
C'est précisément ce que l'on retrouve dans l'iconographie, tant "orientale" qu'occidentale.
Et comme toujours, les petites notes :
1Rappelons que la "cathèdre" (καθέδρα ; kathedra) est le siège sur lequel prend place l'évêque, ce qui a bien sûr donné "cathédrale" pour désigner l'eglise épiscopale. Par ailleurs, le terme "assomption" n'étant ni orthodoxe (on parlerait de "dormition") ni protestant (qui se garderaient bien de placer un lieu de culte sous un tel vocable !), il est donc catholique....
2Pour ceux qui n'ont qu'un souvenir vague de cet épisode (ou aucun souvenir du tout) allez faire un tour du côté d'Exode 3.1-7.
3A ne pas confondre avec le don des Tables de la Loi, qui eut lieu plus tard, et au sommet du Djebel Moussa (le Mont Moïse) alors que le monastère est au pied de la montagne.
4"Monè tès Théotokou tès batou". J'ai rendu "théotokos" (qui a enfanté Dieu) par "Notre Dame", sacrifiant à un usage occidental, pour que l'on perçoive bien la parallèle avec – par exemple – "Notre Dame de Paris. Quant à "Batos", ben, c'est un buisson.
5Notons que si le monastère était dédié à "Notre-Dame du Buisson", son église était placé sous le vocable de la Transfiguration du Christ, d'où l'imposante mosaïque (restaurée entre 2005 et 2008).
6Comme on dit en latin : "es deus absconditus", tu es un Dieu qui se cache (Isaie 45.15).
7Portant en son sein "celui que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent contenir" (1 Rois 8.27).